— Voyons voir….

L’enfant marmonne pour elle-même à mesure que les lignes de son carnet se remplisse. Ce cahier, c’est son trésor, mais aussi sa plus grande faiblesse. Dedans, il contient tout. Tout pour faire tomber Prisme. Ou tout du moins, il en détient le potentiel. Depuis son arrivée il y a un peu plus d’un an au sein de l’orphelinat pour surdoué, la rouquine tient cette sorte de journal de bord. Elle a pris soin, très rapidement après son arrivée, d’y consigner tout ce qui peut lui être utile dans ses projets de fuite et de vengeance. Des plans extrêmement détaillés des lieux constellent les premières pages. Etudié dans ses moindres recoins, le lieu n’a plus aucun secret pour Ruby qui en connait sur le bout des doigts tous les passages, du plus évident au plus saugrenu.

Avec ces informations, l’ancienne Emma aurait pu se faire la malle depuis longtemps.

Mais ce n’est pas assez. Elle ne veut pas seulement fuir. Elle veut aussi vivre, et se venger de ceux qui l’ont arraché à sa vraie famille. Alors elle continue de noter des détails, cette fois-ci sur l’institution, sur les professeurs qui y habitent, sur le système mis en place par l’orphelinat, mais aussi sur ses pensionnaires. Chaque observation est accolée de détails, d’impressions ressenties par la jeune enfant ajoutée dans une autre couleur, pour bien les distinguer des éléments plus factuels. Ruby écrit petit, vraiment petit, mais son écriture reste lisible. Si elle fait ces efforts, c’est aussi et surtout pour minimiser les risques. Plus il y a de carnets, plus il y a de risque que quelqu’un tombe dessus et la dénonce. Une hypothèse que la rouquine ne peut même pas envisager, préférant se focaliser sur l’instant présent.

Perchée dans un arbre, adossée contre le tronc massif, l’enfant continue de prendre des notes, ajoutant observation sur observation. Comme dit le vieux dicton, garde tes amis près de toi, et tes ennemis encore plus près. Ruby n’a pas d’ennemi à proprement parler. Ils ne sont que des ennemis potentiels, des personnes qui pourraient se mettre en travers de son chemin. Et pour ça, elle doit connaitre sur le bout des doigts tous les pensionnaires. Sans quoi, elle prend le risque d’être prise par surprise au dernier moment. Encore un risque qu’elle ne peut pas prendre.

Au loin, ses yeux dérivent vers la grande cabane perchée dans les arbres un peu plus haut. Les bandes aiment beaucoup cet endroit, pour s’affronter et déterminer qui est le meilleur gardien pour ce lieu dort sympathique. L’ancienne Emma l’apprécie plutôt la nuit, là où il n’y a plus personne. La journée, cette grosse branche lui convient beaucoup mieux, l’arbre étant situé au bord du parc donnant sur Prisme. Le soleil commence très doucement à décliner, forçant les autres enfants à quitter la cabane, et Ruby a envisagé de redescendre. En quelques mouvements habiles dont elle seule a le secret, la rouquine descend de l’arbre et se dirige tranquillement vers sa chambre. Sa colocataire, Zen, y sera surement empruntant presque toujours la salle de bain à cette heure-là. Ruby n’aura plus qu’à attendre patiemment son tour.

Mais une fois devant la porte de sa chambre, avant même qu’elle n’ait le temps de poser sa main sur la poignée, une sueur froide la prend de tout son corps. Son carnet. Elle ne l’a plus. Il a du tomber lorsqu’elle est descendue de l’arbre. Quelle idiote ! Aussi vite qu’elle le peut, l’enfant se lance dans une course folle pour regagner son coin favori. Elle aurait dû vérifier encore et toujours qu’elle l’avait toujours. Blanche comme un linge, prise dans un début de crise de panique, l’ancienne Emma regagne à la vitesse de l’éclair son arbre fétiche. Le carnet ne doit pas être loin. Juste là, au sol.

Lorsque ses pas se calment enfin, le souffle court, la respiration saccadée et le regard complètement paniqué, ses bras tombent le long de son corps. Complètement amorphe, la jeune enfant tend le bras et s’exprime, doucement, mais avec une clarté étonnante.

— S’il te plait… Rends le moi…

Un adolescent se tenait là, debout, devant elle. Son carnet ouvert, juste sous ses yeux.