« The King is sleeping. The hunter won the battle. The Lion died tonight ! »
Ça c’était un adulte, il lisait un texte en anglais à la classe qui lui traduisait au fur et à mesure.
« IT’S UNFAIR ! »
Mais qui avait crié ''ce n’est pas juste'' en anglais à travers toute la classe ?
Un petit gars aux cheveux marrons et aux yeux noisettes.
« The king can’t die ! »
Encore un cri mécontent décidément. Dans la langue de Shakespeare l’enfant avait de nouveau exprimé son désaccord, ''le lion ne peut pas mourir''.
« Sit Down ! Now ! »
Ça c’est l’adulte à bout qui dit au salle gosse de s’asseoir. Mais le môme ne l’entend pas de cette oreille et monte sur son bureau, il faut dire qu' il a une petite taille pour ses dix ans le gamin. Tous les regards sont posés sur lui, après un affrontement de regards, le professeur demande à nouveau, en anglais, à l’enfant de s’asseoir. Il a de la patience aujourd’hui le prof !
« Mais cet auteur est complètement sadique ! » se défend l’enfant en croisant les bras toujours debout sur son bureau avant de dire à ses camarades : « Et encore, j’ai lu tout le bouquin et je vous promets que le lion en bave avant de rejoindre le paradis, sous prétexte qu’il a tué des humains venant apporter la connaissance aux animaux de la jungle !
Déjà et d’une, c’est une invasion dans la vie et la culture de ces pauvres animaux, de deux les bêtes se sont plutôt les humains ! Ils arrivent comme ça avec des fusils et hop le lion et ses amis devraient les accueillir en souriant, il a eu raison de les bouffer le lion je dis !
Et puis, ce n’est même pas logique, le chasseur qui arrive en renfort tue le lion sous prétexte que celui-ci se laisse faire car il reconnaît qu’ils ne leur voulaient que du bien, moi je dis que ce livre sent à plein nez le colonialisme ! »
Au fur et à mesure que l’enfant parlait, s’énervait le visage de plus en plus rouge de colère, le professeur hésitait entre rage et sidération.
« Écoute River c’est une histoire, c’est bien que tu ais lu 300 pages en anglais en trois jours, très bien, mais tu pourrais laisser travailler tes camarades sur le récit, non ? »
L’enfant nommé River, et oui vous le reconnaissez à présent notre petit monstre, gonfla les joues et descendit de la table : « Mais elle est vraiment peu pédagogique votre histoire là, je la déteste ! » L’enfant croisa les bras sur ces mots, pour ne plus déranger le cours et en même temps exprimer sa colère.
Le professeur reprit trop fatigué aujourd’hui pour poursuivre le combat avec notre petit héros. L’enfant ne dit plus un mot le reste du cours et sa frustration était telle qu’en quittant la salle, il frappa fort contre le mur se blessant le pied.
Dans un soupir et une main, épuisé, sur le visage l’adulte prit le petit génie de dix ans sous son bras comme un sac à patates et l’emmena à l’infirmerie, résuma rapidement d’une voix bougon ce qui s’était passé à l’infirmière et sortit dans un « bonne chance avec lui »...pour aller assurer son prochain cours.
L’enfant avait mal au pied, bien mal même mais sa colère était si forte qu’il ne se plaignait pas de sa blessure, à la place il éclata en larmes dans un : « Ce n’est vraiment pas juste de juste. »
▲▼ Le gosse et le lionDepuis trois ans que Nurse hantait l'infirmerie, elle en avait vu passer, des blessures. Du simple doigt coupé en passant par le bras cassé, jusqu'aux peines de cœur et les bagarres entre rivaux. Des fois, elle ne comprenait pas trop comment on pouvait se blesser de la sorte, mais le mal était fait, et elle n'était pas du genre à se moquer ou à sermonner les gens. C'était pas son boulot. Elle, elle devait juste mettre un pansement et renvoyer le gamin en lui disant de faire attention. Mais frapper dans un mur par frustration parce que le lion était mort ? Le professeur n'avait pas dû se rendre compte qu'à quel point Nurse avait bugué. De quel lion il parlait ? On était à Cambridge, alors à moins qu'un zoo ou un cirque ait relâché un roi de la savane... Et ce n'était pas l'autre adulte qui allait l'aider à comprendre. Les encouragements avaient suivi le même schéma d'incompréhension.
Elle se retrouva donc face au gamin en pleurs installé sur un lit, environ une dizaine d'années, une tignasse claire en bataille, un pansement sur la joue, vestige d'un autre séjour à l'infirmerie où elle ne devait pas être là. Elle se pencha vers lui, replaçant machinalement une de ses mèches blondes derrière l'oreille.
- Allez, tout va bien. On va mettre de la glace sur ton pied et tu iras vite mieux.
D'un geste machinal, elle rapprocha un paquet de mouchoirs à portée de main de l'enfant, tandis qu'elle s'agitait dans l'infirmerie. Le petit frigidaire de l'infirmerie ne servait pas à grand-chose d'autre que stocker de la glace ou des médicaments, même si elle savait pertinemment que son collègue y planquait parfois des bières. Elle en extirpa un pain de glace qu'elle emballa dans un linge, revint vers River qui portait bien son pseudonyme, actuellement. Une rivière de larmes avait tracé des sillons sur ses joues alors qu'il bougonnait quelque chose qu'elle avait du mal à comprendre.
- Calme-toi, je n'arrive même pas à comprendre ce que tu dis. Tu veux bien me regarder ? Je vais enlever ta chaussure pour poser de la glace, ça va faire partir la douleur.
Tout en parlant doucement, elle entreprit de délacer la chaussure du môme avec des gestes prudents, mais la cheville de River ne semblait pas trop gonflée. D'ici dix minutes, il aura déserté l'infirmerie comme si de rien n'était. Une fois le linge en place sur le pied de l'enfant, elle prit le temps de venir essuyer ses joues du pouce et mit le paquet de mouchoirs qu'il semblait délibérément ignorer en reniflant, dans ses mains.
« Allez, tout va bien. On va mettre de la glace sur ton pied et tu iras vite mieux. »
Non tout ne va pas bien mais River ne le relève pas car elle est quand même gentille la dame, ça se voit à sa voix douce !
La dame s’affaire, River reprend doucement son calme alors qu’elle revient. « Calme-toi, je n'arrive même pas à comprendre ce que tu dis. Tu veux bien me regarder ? Je vais enlever ta chaussure pour poser de la glace, ça va faire partir la douleur. »
Il la laisse faire, il observe les yeux de l’infirmière tout bleus. Il se détend.
« Parfois quand Maman, Papa tuaient les méchants pan pan, une adolescente aux yeux comme vous avez venait à la maison, c’était trop cool car on mangeait plein de glaces ! » Il rit le petit bonhomme mais il grimace de douleur en sentant la glace sur son pied enflé sans gravité cependant.
« Ça fait mal quand même ! » s’exclame t’il, River sait bien que dire ce qu’on ressent aide à se sentir mieux, alors il le dit sans arrêt, pourquoi s’en priver ?
Quand cela fait un peu moins mal l’enfant s’exclame : « C’est mieux la glace à manger, mais bon ! »
La dame essuie les joues mouillées de son pouce et demande en mettant le paquet de mouchoirs dans les mains de River, les mouchoirs ce sont les pansements du cœur dit Papa, River se souvient, River sourit. La dame reprend : « Bon alors, explique-moi un peu ce qu'il s'est passé avec ce lion. »
Il hausse les épaules le River et regarde l’infirmière d’un air grave.
« Madame vous connaissez le mot « ethnocide » ? »
Sans attendre de réponse River explique presque aussitôt : « C’est le fait de tuer plein de gens sous prétexte, faux, qu’on est supérieur et qu’on peut leur apporter plus et mieux que la société qu’ils forment, la culture qu’ils ont ! »
River, il boude un peu mais jamais longtemps, enfin quand il dessert les dents il est toujours en colère mais il veut que l’adulte comprenne : « Il y a une type Pierre Clastres pour l’Encyclopédie Universalis que j’ai lu qui a dit : « Si le terme de génocide renvoie à l’idée de « race » et à la volonté d’extermination d’une minorité raciale, celui d’ethnocide fait signe non pas vers la destruction physique des hommes (auquel cas on demeurerait dans la situation génocidaire), mais vers la destruction de leur culture. »
River reprend son souffle et continue : « 12 octobre 1492, Christophe Colomb a découvert une terre et des gens qu’il n’a pas vu comme des personnes et a voulu changer ce qu’ils croient et fait qu’ils sont eux, c’était un crétin, en plus il a tué avec son équipage, les gens, car il a apporté plein de maladies donc a aussi fait un génocide ! Tout ça c’est les effets de la colonisation, et la colonisation c’est cruel ! »
River grimace : « Dans le livre en anglais qu’on doit lire, je l’ai lu, déjà il est gros, non pas que j’aime pas les longues histoires au contraire ! Mais franchement, il donne raison aux humains qui arrivent sur la terre du lion, et ils les disent bêtes car ce sont des animaux ! Et puis à la fin le lion il meurt et reconnaît cette affirmation ! »
River hurle presque outré : « Ce livre donne raison à des pratiques cruelles et c’est ça que le professeur nous fait lire sous prétexte que ce n’est qu’une histoire ! »
Les yeux du garçonnet se remplissent de larmes : « Je ne voulais pas que le lion accepte sa mort à la fin, les humains c’est eux qui sont des bêtes c’est eux qui sont bêtes ! »