It's that time of the day again, but let's not be late for supper, alright?
Red sentit un frisson le parcourir de la tête aux pieds aussitôt qu'il mit le nez dehors.
Il marchait, le pas pressé, à la suite d'un surveillant de l'établissement dépité par le comportement d'un des pensionnaires. Ce surveillant, il l'écouta se plaindre sans cesse, balancer une anecdote ou deux sur son travail ingrat, tout en ramenant chaque petit problème au même nom et visage auxquels Red n'était pas si souvent confronté : River.
Un jeune garçon en pleine forme, qui croquait la vie à pleine dents. Ce genre d'élèves, le psychologue les trouvait très chanceux, et leur souhaitait de ne jamais avoir à passer la porte de son bureau. Oh certes, tous ici avaient eu droit à leur petit entretien d'entrée, mais ce n'était pas le cas de tout le monde de venir lui rendre visite trop souvent chaque semaine. Dans son carnet de rendez-vous, Red avait quelques élèves réguliers. Certains passaient peut-être une ou deux fois à l'occasion parce qu'ils avaient leur période de petits problèmes, et d'autres n'avaient tout simplement pas besoin de consultations. Le jeune River faisait partie de ces gens-là, bien qu'après qu'il fut accueilli à l'orphelinat, il dût se faire traîné les premières semaines dans l'antre du psychologue... pour un problème plutôt conséquent, qui jusqu'à aujourd'hui n'a fait que provoquer pertes de temps et de patience.
De nombreuses fois on était venu chercher le garçon près de la grille. De nombreuses fois on dû lui faire lâcher les barreaux. De nombreuses fois les surveillants ont dû s'en charger à tour de rôle, tous les jours, même. Cette fois-ci, ce fut la fois de trop, et le surveillant en question était venu extirper Red de sa tanière.
« Allez-y, vous, moi j'en ai marre ! » avait-il lâché avant d'abandonner l'albinos à mi-chemin. Ce dernier regarda dans la direction opposée et aperçut la silhouette du garçon, accroché comme à chaque fois au même endroit, même heure.
Red ne l'avait jamais vu de ses propres yeux, jusqu'à maintenant. On lui avait toujours rapporté les faits, ce pourquoi d'ailleurs il avait rencontré River à de nombreuses reprises durant les premiers temps de son intégration à Prismes. Maintenant qu'il était devant les faits eux-mêmes, il avait l'impression de voir le film du même scénario qu'on lui a transmis à répétition, sans que ça ne soit réel... Mais vint tout de même un moment où il fallait bien approcher pour essayer de régler la situation.
- Bonsoir, River, lança-t-il à l'attention du garçon avec un sourire moindre mais chaleureux. Pas trop froid ? Ça faisait longtemps.
Les mains dans les poches de sa veste, le psychologue s'arrêta à quelques mètres de River. Ça faisait un moment qu'ils ne s'étaient pas vu, en effet, et il ignorait quel regard le garçon avait sur lui.
« Bonsoir, River ; Pas trop froid ? Ça faisait longtemps. »
Ça c’était le psychologue, c’est comme un docteur qui parle beaucoup mais au moins qui écoute. Peu d’adultes écoutent les enfants ou pas longtemps, Car ils étaient trop jeunes pour être assez intéressant à écouter. Sauf qu’ici avec le psychologue on pouvait parler. River ne détourna cependant pas le regard braqué sur la sortie, mains agrippées à la grille.
« Monsieur Red, pourquoi les surveillants ils m’embêtent ? Je rentre toujours à temps pour le repas, je ne manque aucune de mes obligations ici , j’ai bien le droit de venir ici le soir pendant un temps libre ? »
La colère dans la voix de l’enfant se fana bien vite en un ton triste : « Je les attends et les attendrai quoi qu’on me dise. »
River resta face à la grille sans se retourner vers le médecin. Ses épaules tremblaient, il pleurait doucement : « Le père Noël ça n’existe pas vous savez , les histoires pour enfants non plus, mais il ne faut pas dire ça à Birdy et à d’autres qui y croient encore ça leur ferait de la peine ! Vous comprenez ? »
Les mains de l’enfant se serrèrent sur les barreaux : « En revanche mes parents existent et un jour ils viendront ! »
Cette exclamation forte, claire et catégorique calma l’enfant qui cessa de sangloter sans pour autant se retourner.
« Vous devez me trouver cinglé c’est le surveillant qui me l’a dit mais sans vouloir vous offenser je crois que vous êtes un peu fou aussi ! » River haussa les épaules « Il faut être un peu fou pour écouter les enfants non ? Maman, Papa l’étaient sûrement mais tant que la folie est affection pas souffrance ce n’est pas grave du tout. Enfin je ne sais pas si vous comprenez tout, il faut beaucoup expliquer aux grands ou aux petits qu’on a mis trop vite grand. »
River se retourna enfin vers le docteur le regarda d’abord avec inquiétude puis lui sourit avec douceur : « Vous avez l’air d’avoir froid vous ! » L’enfant eut les traits tirés réfléchissant. Puis un sourire joyeux se dessina sur son visage.
Il enleva son écharpe, son manteau était trop petit pour Monsieur Red, mais les écharpes ça allait à tous. L’écharpe était rouge avec des points noirs.
« Cette écharpe, c’est maman qui me l’a achetée pour mes neuf ans, Maman elle adore les coccinelles, on en a même élevés à l’appartement , Papa il adore Maman mais il avait peur des coccinelles alors on s’en occupait avec Maman ! »
Tout sautillant de ce souvenir, l’enfant ajouta : « Mon papa et ma maman sont de super policiers, mais je crois que même les plus forts ont des peurs ! »
La mine se fit quelques secondes plus sérieuse avant de redevenir enthousiaste : « Moi j’ai peur aussi, très peur qu’on m’empêche de les revoir, que ce soit à cause du Sans-visage ou des surveillants même si les surveillants entre nous je n’en ai pas vraiment peur, ce sont des gens qui crient mais ne savent faire que ça, c’est un peu dommage pour eux ! »
Après un très court silence l'enfant ajouta:
« Mais... »
Il leva les yeux vers ceux du médecin:
« Ce n’est pas parce-qu’on a peur qu’il ne faut pas agir. Vous savez Papa il a fini par nous aider pour les coccinelles alors moi aussi, c’est pareil, je les attends et dépasse ma vilaine peur ! »
Une brise fraîche souffla dans le dos enfantin qui frissonna et se rappela soudain en tendant l’écharpe dans un rire mi-amusé mi-désolé : « Ah mais c’est vrai vous avez froid ! Tenez je vous prête mon écharpe. Vous me la rendrez après. »
Tout sourire l’enfant ajouta : « Je vous fais confiance Monsieur Red ! Car moi je suis sûr que vous n’avez pas oublié votre enfance sinon pourquoi écouteriez vous les petits ? »
It's that time of the day again, but let's not be late for supper, alright?
La persévérance était une vertu bien appréciable chez les jeunes gens et appréciée par Red. Sauf qu'il y en avait de tout types, incluant la bêtise. Dans le cas du jeune River, cette persévérance était très têtue, le plus souvent à en devenir problématique. On pouvait le pardonner à certains enfants, quand ils étaient vraiment jeunes – le plus souvent c'est qu'ils manquaient d'éducation. Mais 10 ans, c'était déjà assez grand pour se sortir des contes de fées, n'est-ce pas ? Red comprenait mieux la démarche du surveillant à être venu le chercher : en tant que psychologue averti, il n'avait pas peur de mettre directement les pieds dans le plat lorsqu'il s'agit de retourner à la réalité.
Comme il était de coutume dans son bureau, Red n'interrompit pas une seule fois le jeune garçon. Surtout pas s'il le sentait en colère, peiné, frustré ou confus. C'était après tout ce que Red savait faire de mieux : écouter. Puis analyser, décortiquer, et répondre.
« Vous devez me trouver cinglé c’est le surveillant qui me l’a dit mais sans vouloir vous offenser je crois que vous êtes un peu fou aussi ! »
Cette remarque le fit cligner des yeux, puis souffler un court et léger rire par le nez. Il garda cette réaction pour lui le temps de le laisser finir son discours. Un second clignement d'yeux anima son visage lorsque le jeune garçon approcha pour lui tendre avec une grande innocence son écharpe aux motifs rouges. Pour la récupérer, il ne s'agenouilla pas, ni ne se baissa ; paraît-il que c'est un geste somme toute banal pour se mettre à égalité avec les enfants, mais il avait la sensation que River était beaucoup trop mature pour son âge pour en ressentir le besoin. Il n'avait pas peur de braver l'interdit imposé par les surveillants, après tout.
Red accepta l'écharpe et l'enfila autour de son frêle cou blanc en souriant avec amusement.
- Merci beaucoup, River. Tu as raison, je suis sorti un peu vite et je n'ai pas vraiment eu le temps de bien me couvrir...
Comme si c'était lui le plus démuni des deux, le moins bien préparé, celui qui avait besoin de l'autre. Quitte à se mettre véritablement sur un pied d'égalité afin de le mettre un peu plus dans cette confiance dont le garçon parle, autant jouer là-dessus d'abord. Même si Red, à défaut de manipuler quiconque pour faire croire qu'il n'a aucune intention derrière, préfère largement conserver un peu de ce fossé qui se situe entre son statut de psychologue et les autres élèves.
- Je pense que ni toi ni moi ne sommes cinglés, cependant. Autrement, ne serait-ce pas drôle que je travaille ici en tant que psychologue ? Mon rôle serait dans ce cas de rendre ici tout le monde aussi cinglé que moi ? Ha ha.
Il enfouit à nouveau les mains dans les poches de sa veste, dépourvues de gants. L'écharpe récemment portée par River lui semblait évidemment chaude après avoir quitté le jeune garçon. Sans avoir eu à bouger de sa place, il resta debout à le regarder.
- Tu parles toujours autant de tes parents comme de véritables héros. Ce qu'ils sont sans doute. On voit tout de suite que tu as hérité du même gène. Nous sommes ce qu'ils forgent de nous, après tout.
De son côté, Red n'enviait pas spécialement River. Il ne pourrait toutefois pas faire de comparatif précis : sa relation avec ses parents a toujours été assez... ordinaire, jusqu'au jour où tout s'est arrêté. Si banale et simple qu'il n'y avait vraiment rien à dire, ainsi le psychologue sembla quelques peu désolé de ne pouvoir répondre avec précision à la question de l'orphelin.
- Je pourrais te parler de mon enfance si tu le souhaites, mais j'aurais cependant beaucoup moins de choses à te dire. Je n'ai pas vu mes parents depuis des années. Les tiens semblent être des gens extraordinaires à côté des miens.
Depuis le temps, Red ne ressentait envers ses géniteurs qu'une profonde indifférence qui s'est accentuée au fil des ans, surtout depuis qu'il est revenu à Prismes. Son univers n'est plus que ça, désormais : ces jardins, ces bâtiments, ces gens et rien de plus. Même s'il avait l'occasion de les revoir, il refuserait non par représailles, mais parce qu'il n'en aurait vraiment pas grand-chose à faire.
- Mais ça ne veut pas dire que je ne t'en parlerais pas, si c'est ce que tu souhaites. Attends-toi seulement à être très vite ennuyé : ça ne tiendrait que sur un post-it.
Pour l'instant, l'objectif principal allait devoir attendre. Et puis, à entendre River, n'importe qui comprendrait très clairement qu'il serait difficile de le ramener à l'intérieur en l'état.
« Merci beaucoup, River. Tu as raison, je suis sorti un peu vite et je n'ai pas vraiment eu le temps de bien me couvrir... »
River acquiesce dans un hochement de tête, c’est que quand on est obligé de dormir à l’infirmerie on ne peut pas faire ce qu’on veut, à part dormir, et c’est un peu dommage ! Alors si on peut éviter c’est bien et puis il faut se respecter autant que les autres non ? Alors ça passe par les écharpes coccinelles ! « Je pense que ni toi ni moi ne sommes cinglés, cependant. Autrement, ne serait-ce pas drôle que je travaille ici en tant que psychologue ? Mon rôle serait dans ce cas de rendre ici tout le monde aussi cinglé que moi ? Ha ha. »
L’enfant n’avait même pas remarqué que l’adulte ne s’était pas agenouillé pour se « mettre à sa à hauteur ». Honnêtement, ce genre d’attitude il ne les comprenait pas, c’est comme se lever pour saluer un professeur cela ne sert à rien, les adultes aiment les choses inutiles, mais bon ces marques de « respects » River n’en tenait pas compte, à ses risques et périls parfois, et son refus argumenté et entêté de se lever était sûrement déjà venu aux oreilles du psychologue.
Les paroles du psychologue en revanche, River les nota bien et commenta rapidement : « Ce n’est pas possible de toutes façons d’être « aussi cinglé » que l’autre puisque personne n’est l’autre ! » en haussant les épaules sous l’évidence. « Tu parles toujours autant de tes parents comme de véritables héros. Ce qu'ils sont sans doute. On voit tout de suite que tu as hérité du même gène. Nous sommes ce qu'ils forgent de nous, après tout. »
River eut un rire clair et limpide comme les sursauts d’un petit ruisseau : « Les héros cela n’existe pas Monsieur ! Mais le courage si ! Mes parents sont courageux ! Le courage c’est avoir l’honnêteté d’accepter sa peur et de la combattre ! C’est eux qui disent ça et Papa et Maman ne sont pas des menteurs ! » Grand sourire de l’enfant. « Alors moi je tente d’être courageux ! »
« Je pourrais te parler de mon enfance si tu le souhaites, mais j'aurais cependant beaucoup moins de choses à te dire. Je n'ai pas vu mes parents depuis des années. Les tiens semblent être des gens extraordinaires à côté des miens. » continua le psychologue avec une indifférence que River, très sensible, ressentit et qui lui fit ouvrir de grands yeux surpris. « Mais ça ne veut pas dire que je ne t'en parlerais pas, si c'est ce que tu souhaites. Attends-toi seulement à être très vite ennuyé : ça ne tiendrait que sur un post-it. » conclut le psychologue.
Il y a des choses, des peines, des découragements, des agacements voire des colères que l’on guérit par des bonbons ou des mets délicieux, comme les épinards qu’il pourrait manger sans fin pour River, mais l’indifférence ne se guérit pas, ne se comble pas, elle est là c’est tout, personne n’y peut rien. Elle peut faire découler de la douleur mais ce n’était pas perceptible chez le psychologue.
Alors River répondit simplement : « Quand on a rien à dire sur un sujet, nul besoin de se forcer à en parler. Moi j’ai plein de trucs à dire sur mes parents sans vouloir vous ennuyer ! Même si on vous ennuie rarement je préfère le dire car vous aussi vous êtes humain et un humain on peut l’ennuyer ! Alors surtout dîtes le si c’est le cas ! Faut toujours dire ce que l’on ressent ! »
River serra ses mains sur les barreaux glacés le regard perdu dans ses souvenirs.
« Par ce froid, on allait patiner Maman, Papa et moi ! » River eut un rire tout innocemment enfantin. « Cette fois c’est moi qui avais peur ! Je ne voulais pas aller sur la glace ! » La bouille de River se fit sérieuse : « Mais j’étais petit hein plus petit petit que là ! J’avais peut-être hummm six ans ! Ou sept mais pas plus ! Oui sept ans et j’avais un peu honte de pleurer de peur car on m’avait dit que c’était l’âge de raison et que pleurer ça ne se faisait plus par raison ! Je l’ai dit à Papa en larmes et tu sais quoi Monsieur, tu sais quoi ? »
River se retourna vivement tout sourire : « Maman et Papa ils m’ont dit que, être vraiment de raison ça veut dire autre chose, que l’instituteur qui m’a dit ça s’est trompé ! L’âge de raison c’est l’âge où on apprend à assumer ses émotions en effet mais pas en les refoulant non ! En les exprimant au contraire ! Car comme ça on est nous et puis personne ne le fera à notre place ça, être soi ! » River avait fini ses explications avec de grands gestes et attrapant un barreau d’une main comme on s’accroche à une bouée quand on ne sait pas tout à fait nager il ne quitta cependant pas le psychologue du regard : « Mais quand ils viendront, tout ça, ils vous le raconteront bien mieux que moi ! » Et en cet instant il y a avait comme un trou, comme quelque chose de perdu, une fissure, petite mais là, peu perceptible mais ici, dans le regard de River, ce regard d’enfant.