Crow les regarde se démener, ces humains que l’on agite sur le parquet, pour tremper celui-ci de leur sueur. On a tamponné contre sa face les empreintes colériques de phalanges venues percuter sa fureur, sa frustration, et la journée aurait pu être cool, aurait pu être confortable, si ça n’avait été pour cette embuscade, un guet-apens rempli de ressentiment. Quelqu’un l’a chopé à fumer dans les toilettes, Crow n’était pas d’humeur, et au lieu d’arranger ça calmement, au lieu d’en parler tranquillement, son sang a bouilli, Crow s’est mis à rugir. Les crises de colères sont fréquentes, surtout ces derniers temps, mais le résultat est survenu, dépréciable, désagréable, tâchant sa gueule avec trop d’ecchymose. Ça lui a secoué le cerveau dans le mauvais sens.
Il est rare que Crow se batte, et lorsque ça arrive, les nerfs ne se relâchent pas, la frustration ne descend pas, même des heures après.
Le contexte de ce moment, c’est sa putain de haine envers un instant qui aurait du être oublié dès le conflit achevé. Mais ça ne passe pas. Ça ne passe pas et le putain de cours de sport est comme un colisée dans lequel il se retrouve Caesar, à juger des individus qui ne le regardent même pas. Ave Caesar, qu’il murmure, moritori te salutant. Putain de moment.
On lui demande de participer, le professeur siffle son nom, il crache une syllabe de haine.
« ‘k. »
C’était plus violent dans sa tête que ça ne l’est dans la réalité. Crow se relève, déplie son corps, et les muscles sont tendus, la pression est énorme. Il a les cheveux détachés, la poitrine maintenue avec une brassière serrée, et les mâchoires plus contractées que l’arc d’Ulysse n’est bandé. Putain, il répète. Putain, parce que sa tête n’est pas concentrée, son corps n’est pas préparé, et là où il est rare qu’il n’y ait pas de plaisir à ressentir, à éprouver, en effectuant une activité physique, c’est moins rare, et c’est beaucoup plus inconvenant que sa tête soit comme ça.
Il se sent comme un missile chargée, une grenade prête à dégoupiller. Il veut vomir, quelque chose, sa rage, sa frustration, sur quelque chose, et ces moments-là, il le sait, ne sont productifs pour personne. Pas pour lui, pas pour le prof de sport, pas pour les élèves. Dans ces moments-là, Crow veut s’enfoncer la gueule sous l’eau, se refroidir les synapses et hurler, hurler, jusqu’à en pleurer. Ce n’est pas le moment, mais c’est le genre de réalité qu’il faut affronter. Là maintenant. Alors il soupire. Se résigne à obéir à la consigne.
Savoir s’adapter, c’est la forme tranquille et sage de la résignation avec laquelle il est né.
« Ok, il répète doucement, Ok, I’m here. »
Il choppe la balle, se met à bombarder le premier arrivant. Une fois, deux fois, avec son articulation qui roule et ses muscles qui crissent et ses cuisses qui s’ouvrent et son ventre tendu. Il a mal, il a mal, il est tout rapiécé, la gueule violacée, et ce n’est pas le meilleur de sa forme, ce ne sont pas les meilleurs mouvements, il y a dans son attitude la violence d’un relâchement exaspéré. Crow frappe pour blesser.
Will you fucking calm down, you piece of shit ?
Il veut se claquer, lui-même. Le bras encore tendu, les deltoïdes arquées, il a immobilisé, pendant un instant, son mouvement, pour contempler la réalité froide de son propre jugement. Calme-toi. Calme-toi, parce que t’énerver plus encore, contre ceux qui ne l’ont pas mérité, qui n’ont rien fait, ce serait débile, ce serait immature, ce serait prouver que tu n’as aucun-self contrôle, et ça n’est pas, ça n’est vraiment pas une marque de puissance que de s’en prendre à ceux qui sont innocents.
C’est son arrogance qui parle. Immobile, silencieux, la balle en équilibre entre ses doigts, avec son putain de bras tendu, il ne bouge pas, et pendant quelques instants, il est un titan immobilisé.
Une balle vole, l’effleure d’un cheveu, et va finir sa course, dramatique, dans la gueule d’un joueur à l’opposé. Probablement pas la cible déterminée, -Crow tourne les yeux pour identifier le visage rageux de la personne qui essayait lui de le viser-, et avec un sourire soudainement mielleux, ravi, il contemple sa chance, son hasard joyeux de ne pas avoir été touché. Karma, karma !
Au temps pour le manque de self-control. Il se sent soudainement mieux.
« Hey Knight. You okay, baby ? You got head-shot. »
Ça le fait rire. Ça le fait rire, ça lui fait du bien, la pression est redescendue, et il la maintient, couchée, comme on bloque un animal en le maintenant au collier. Il sourit, il sourit, avec son rire entre ses lèvres, entre ses cils, avec sa gueule trop étirée sur un sourire bien amusé. Le moment n’a rien de drôle, probablement, mais il se sent mieux, parce qu’il a su se contrôler, il a su se retenir, il a été en mesure d’arrêter être un agresseur. Il se sent mieux.
« Hey ! »
On l’interpelle, notifie son cerveau. Le sourire encore accroché, tout étiré, il se retourne vers la meuf, brune, pas aussitôt identifiée, mais dont la face vient signaler une mauvaise réaction. C’est probablement à cause de la manifestation de douleur qui est venue s’étaler sur la gueule du chevalier, c’est probablement parce que lui a ri. Maintenant qu’il y pense, ce n’était probablement pas le bon timing, pas la bonne réaction, et alors qu’elle s’approche en furie, en le douchant avec des yeux trop remplis de rancœur, il doute, pendant un instant, et se demande s’il n’est pas celui qui a balancé la balle. Mais non. Non. Après tout, sa main est encore armée. Il s’est simplement foutu de la gueule de l’autre, right ? Il crispe ses doigts, fermement, autour de la balle. Why didn’t you dodge, Knight ?
« Tu ris pas quand quelqu’un se fait blesser ! »
Oh, gosh. Crow hausse un sourcil, Crow ne fait même pas semblant d’être surpris : il l’est. Vaguement. Vaguement seulement, parce qu’il vient de la reconnaitre : elle est le membre féminin du trouple dans lequel Knight mijote régulièrement, et il la reconnait, il la reconnait immédiatement, elle est l’espèce de dinde qui a décidé qu’entretenir une rivalité entre eux était amusant. Les courbes de la bouche de Crow se transforment en angle droit. Elle l’insulte, encore, avec un « merdeux » qu’il ne croit pas tant avoir mérité. C’est le catalyseur en deux syllabes d’une réaction qui aurait pu, tu sais, être vachement différente, si tu avais fermé ta gueule. Il se sent exaspéré.
« No, you’re right, dude. Next time, I’ll kiss him, and I’ll make sure he’s still breathing, dumbass. »
Il secoue la tête, avec ses mèches qui voltigent, avec ses mains qui viennent se poser sur ses hanches. Il a les yeux étrécis, les prunelles moqueuses, maintenant. Au temps pour le self-control.
« Why don’t you go make sure he’s not bleeding ? Ou peut-être que tu veux que j’aille lui faire du bouche-à-bouche, sweetie ? Now shut the fuck up. »
Il se souvient. Elle s’appelle Maelstrom, et il n’a jamais été effrayé par les ouragans.
Sport. Activité physique exercée dans le sens du jeu et de l'effort, et dont la pratique suppose un entraînement méthodique et le respect de règles.
Entraîment méthodique son cul. Knight détestait le cours de sports. Deux heures durant, les élèves gesticulaient en courant d’un sens à l’autre du gymnase dans l’espoir d’obtenir un note qui, finalement, ne leur serait d’aucune utilité plus tard. Les plus idiots y trouvaient du plaisir. Ceux-là affichaient un sourire niais, s’amusant dans cette dépense d’énergie obligatoire. Les plus doués eux, exhibaient, pour la plupart, deux sentiments : de la pitié pour les plus faibles ou une intensité propre aux athlètes olympiques. Pis, lorsqu’il s’agissait de sport d’équipe. La compétition déjà présente entre les adolescents s’envenimait et certaines dents tombaient. Knight portaient encore la cicatrice du coup de crosse reçu lors d’une partie “amicale” de hockey sur gazon l’année dernière. Il avait perdu l’usage de son oeil droit durant une semaine.
Ainsi, oui, Knight détestait le cours de sport. Il jugea ses comparses en sueur tandis que la partie de Dodgeball se déroulait au son des couinements de souliers contre le plancher de bois. Maelstrom avait son regard assassin, prête à éliminer l’ennemi à tir de ballon. Sa longue crinière brune virevoltait autour d’elle à chacun de ses mouvements. Ghost, lui, attendait paisiblement sa mort dans un coin du terrain. Une fois touché, il peinait à cacher son soulagement. Puis, ce fut son tour.
“ Knight, sur le terrain. “
L’interpellé y traîna les pieds alors qu’une nouvelle partie commençaient. Tous alignés le long du mur arrière et face à l’équipe adverse, les élèves attendirent le coup de sifflet pour s’élancer. L’Écossais évita un premier, puis un second ballon pour, par la suite, se pencher vers un troisième qui roulait vers lui.
Les événements qui suivirent furent confus. Du moins, pour sa part. Le claquement sembla néanmoins retentir dans le gymnase, l’écho décuplé par la grandeur de la pièce. Plié en deux et le visage en feu, il peinait à reprendre son souffle. Maesltrom était déjà à son côté, l’obligeant à relever la tête afin de vérifier que rien n’était cassé.
Soudain, un rire s’éleva dans le silence ambiant. La jeune fille réagit au quart de tour, n’acceptant pas qu’on se moque ainsi de son meilleur ami. Elle s’avança jusqu’à se trouver face au plaisantin. Derrière, Knight fixait Crow. Il n’allait pas mordre l’hameçon se dit-il. Crow et lui entretenaient cette animosité depuis des années et l’héritier ne souhaitait pas gérer ce ramassis d’inept…
“ What did you say ? ”
Soudainement, Knight se redressa et s’avança vers Crow, la douleur au visage oblitérée par la colère qui le submergea. On ne l’avait jamais vu réagir aussi prestement. Les élèves le regardèrent étonnés par tant d’énergie.
“ You need to shut the fuck up. C’est pas vrai que tu vas lui manquer de respect, asshole. Si t’as un problème, c’est avec moi. ”
L’Écossais le regarda de haut en se plaçant devant Crow. Maelstrom tenta de le retenir, mais Knight chassa la main.
“ Laisse tomber, il vaut pas la peine. Le prof va revenir sous peu. “ “ Enculé. “
Il le repoussa avec force, prêt à suivre son amie plus loin.
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Jeu 31 Déc - 8:18
Jeux d'enfants.
Crow le regarde approcher, Crow le voit venir, et Crow ne bouge pas. Il ne bouge pas, quand Knight vient défoncer les barrières immatérielles d’une bulle de sécurité déployée autour de lui. Cinquante centimètres, c’est trop près, ça vient pulvériser les diamètres mentaux de ses distances relatives et Knight qui abaisse les yeux sur lui, dans ce mouvement bien significatif, c’est l’écrasement foudroyant de ses idées qui se mettent à péter. Ce n’est pas sa faute, il voudrait assurer. Ce n’est pas sa faute, en un premier lieu, il n’a jamais envoyé la balle, il n’est pas responsable, il a simplement esquivé. Mais ce serait se défiler. Ce serait adapté un comportement qui n’est pas le sien. Il est Crow, il n’aime pas se faire taper dessus, mais il ne recule pas, il ne fuit pas, il contemple l’humanité et il festoie de ses pourritures. Il est un rapace. Il est un rapace, il se l’est promis. Et putain, ce qu’il est fatigué.
Mais être Crow, être vivant implique avoir une responsabilité. Dans cet endroit, face à ces gens, et pour lui-même. Crow il est con, Crow il est trop dramatique, mais Crow est acharné à exister.
Alors il tord les lèvres, et redresse le menton. Asshole. C’est du même level que “merdeux”, ça dénote une phase anale pas vraiment terminée, et alors que tout le bon sens du monde murmurerait à n’importe qui d’autre d’arrêter, de laisser couler, de laisser passer, Crow, lui, plisse les yeux en considérant l’adolescent l’apostropher, tout en s’éloignant. Enculé, vraiment ? Il s’imagine lui demander s’il sait ce que ça fait, comme sensation. Il s’imagine lui raconter, il s’imagine le décrire, lui décrire, il s’imagine mettre à mal les états et les humeurs de tous ceux autour d’eux qui assistent à la confrontation, il s’imagine le dégoût et le malaise. Est-ce que tu veux vraiment me définir comme ça, petit idiot ? Crow ne se pose même pas la question.
“You know.”
Il secoue la tête, en faisant un pas vers eux, pour ne pas les laisser trop s’éloigner.
“Pour quelqu’un d’aussi brillant que toi, je me dis que t’as pas vraiment dépassé ton stade caca.”
Il a le sourire d’un enfant sur la face. Un enfant motivé à ressembler à un alligator, un enfant dévoué à se montrer haineux, insupportable, violent. Un enfant qui tapote dans son ballon en douchant les autres des yeux. Un enfant, fatigué avec sa tête, avec son corps, d’être obligé d’en côtoyer d’autres. Surtout de ceux qui ne savent pas prendre la douleur. Surtout de ceux qui ne savent pas encaisser, et se la fermer, en serrant les dents. Si Mercury avait fait de ce moment un test, Crow estime, les pupilles dilatées, que Knight se serait foiré.
“Maybe, Knight, maybe is it because you were too wealthy, and you never got to properly learn how to whip your own ass. How does it feel when you have a servant doing it for you ? ”
Il lui sourit. Il lui sourit, doucement. Il lui sourit avec toute la tendresse du monde. Il lui sourit, parce que ce serait tellement facile d'être encore plus méchant. De prendre cette balle, de la balancer sur le gosse épuisé qui traine constamment avec eux, et qui est vautré dans un coin du gymnase, pas motivé à rien. Ce serait tellement facile d'être méchant en sous-entendant que c'est probablement pour ça, pour cette raison là, -too wealthy- que Knight, il a besoin de traîner constamment avec cette meuf là. Parce que les gosses de riche, ça se sait, either ça a besoin de jamais être seul, parce que ça connait moyen l'amour et que les amis, les vrais amis qu'ils rencontrent un jour et qui leur apporte tout ce dont ils ont besoin et qu'ils n'avaient jamais eu avant à cause des parents distants, c'est pour la vie, either c'est parce qu'ils ont besoin de combler un rapport de servitude avec quelqu'un qui leur fait du bien.
Ce serait facile.
Mais ce n'est pas le jeu auquel Crow joue maintenant. C'est juste de la provocation. Pas encore de la cruauté. Utiliser quelqu'un que Knight aime pour lui faire du mal, c'est le stade qu'il atteindra si Knight parvient vraiment à lui faire du mal. Ou dans le pire des cas, en l'exaspérant un peu plus. Parce qu'après tout, aujourd'hui est une mauvaise journée, et Crow est fatigué.
Maelstrom lui tira la manche pour l'éloigner. La première riposte eut guère d'effets apparents, l'adolescent avait entendu pire insulte. Facile, à la portée de tous, songea-t-il, même les premières années faisaient mieux. Toutefois, qu’elle vienne de Crow l’agaçait plus que Knight souhaitait l’avouer. Son aîné, tel un parasite, savait se glisser sous sa peau comme nul autre.
Let it go, Knight. Il ne vaut pas la peine.
Soudainement, la main sur sa manche se resserra. Knight, tendu, observa ébaubi l'infecte oiseau devant lui. Ce sourire, ce regard... Non, il ne pouvait pas laisser couler. Crow touchait une corde sensible et elle vibrait dans l'Écossais plus fort qu'il ne le souhaitait. Sa richesse n'était pas un sujet qu’on abordait sans conséquence. Sans la cacher, il refusait qu’elle le définisse. Et il refusait qu’on s’en serve contre lui.
Let it go Knight. Il ne vaut pas la peine.
Il aurait dû laisser couler. Knight le sait. Maelstrom le lui répéta tout en le tirant vers l’arrière. Pourtant, il ne pouvait pas. L’adolescent ne concédrait pas la victoire si facilement à son aîné. Pas cette fois. Le visage fermé, le regard froid, l’Écossais riposta.
Crow souhaitait du cérébral, Knight lui servit de la poésie.
" Tu te crois futé, tu te crois beau, mais t'es qu'un corbeau. Ou serait-ce une corneille ? Au final, c'est pareil. T'es qu'un idiot qui se la joue emo. Tu crois me faire mal avec tes mots ? J't'apprends un truc, mate, tu tires du gun à eau. Mais saches qu'à vomir ton charabia, tu risques de te la jouer solo, car le monde finira par faire silence radio. En fait, c'est peut-être ce que tu recherches. Tu pourras crier alors au complot. Après, tout, c'est pas nouveau. J'ai entendu Giorgio râler contre un certain oiseau. Faut croire que ton charme a ses limites, puisqu'on te tourne le dos. Continue comme ça et t'auras plus personne pour écouter tes sanglots."
L’adolescent fit un pas vers l'arrière, puis se détourna.
" Alors, croasse Crow. C'est tout ce que t'as; que des mots." jeta-il par dessus son épaule.
Quelqu’un dans l’assistance applaudit, puis s’arrêta. Un silence pesant s’installa alors que le binôme rejoignait Ghost plus loin. Le dos toujours tourné à Crow, Knight laissa Ghost vérifier l’état de son visage.
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