Il y a bien des choses que Dorémi ne veut pas comprendre. Avec lesquels il ne veut pas être empathique. Parfois, une exception ou deux et il peut devenir aussi doux qu'un agneau (enfin presque). Le professeur de musique souhaite réellement voir ses élèves progresser mais il ne peut pas s'empêcher de les taquiner et de leur en faire voir de toutes les couleurs. Mais il n'en déteste aucun d'entre eux, contrairement à ce que certain.es pourraient croire. Même si vous êtes dans son collimateur, ça ne veut pas dire pour autant qu'il ne va pas vous consacrer le même temps qu'aux autres. Il est parfois injuste mais prône l'égalité. Tous les enfants de cet orphelinat sont considérés comme des génies mais Dodo ne jure pas par ça. Il veut de la volonté. Il veut un réel désir de s'améliorer et surtout il veut l'amour de la musique ; ou, au mieux, la transmettre à ceux qui en ont perdu le goût.
En revanche, il peut s'avérer effectivement très acide pour des raisons très stupides. Un son de piano résonne dans l'air alors qu'il arbore les couloirs de l'établissement. Une jolie mélodie qu'on croirait jouée par un professionnel. Il n'en est rien, et Dorémi le sait. C'est ce qui l'énerve. Ses dents se serrent en reconnaissant cet air et cette façon de pianoter qu'il reconnaît instantanément. Tout de suite, ses pensées fulminent. Ses yeux étaient rivés sur des partitions mais il les oublie sur le moment pour se mettre à marcher d'un pas tranquille vers la salle de musique, dissimulant son mécontentement par un sourire faux. Il entre dans la pièce aux divers instruments où il a l'habitude de faire ses cours. Pas d'élèves, pour cette fois. Mais une jeune femme d'une trentaine d'années aux traits fins et aux beaux cheveux d'ébène qui était assise devant le piano à queue. Et oui, Dorémi ne se serait pas contenté du piano lambda, il lui fallait ceux qui brillent d'un noir profond et qui peuvent s'ouvrir pour en montrer les mécanismes reliés aux touches. Il regarde sa collègue avec une expression narquoise et moqueuse, qui cache seulement une amertume certaine.

« Tiens, tiens, regardez qui voilà. Madame la fleuriste décide de se la jouer virtuose. »

Tsubaki est une femme d'un caractère singulier qui sait être délicate et attentionné dans ses gestes. Dorémi l'apprécie et la déteste en même temps. Un tel talent pour la musique, gâché pour préférer les compositions florales... Pour lui, ça ne fait aucun sens. C'est même de la bêtise.

Une iris quoi ?.. Dorémi n'est pas un fond connaisseur de fleurs. Lys, rose, pâquerette... Bien sûr, il sait à quoi ça ressemble dans les grandes lignes ; mais il n'est guère familier avec ces histoires de noms scientifiques et autre langage floral. Alors il ignore sur le coup comment il doit prendre la comparaison que la brune ose faire. Il ne va pas non plus s'embêter à demander à quoi cela correspond. Une question de fierté, paraît-il. Mais ça ne peut pas être un truc méchant. Tsubaki n'a pas un mauvais fond : elle est gentille et douce, mais sans que ça ne soit trop marqué et qu'on lui marche dessus. Il se retient de se vanter sur le moment mais il n'en pense pas moins. Quel professeur ne voudrait pas le meilleur pour ses élèves ? Surtout quand le cadre de l'orphelinat est très privilégié. Dodo trouve ça juste dommage que la jeune femme ne fasse pas parti des professionnels de la musique. Elle pourrait facilement le devenir, pourtant. Mais... Les fleurs, et encore les fleurs. Elles occupent toutes les pensées de sa collègue qui n'a plus énormément de place pour la musique dans son quotidien quand elle se consacre surtout à la composition florale. Le rouquin regarde brièvement les fleurs sur le rebord de la fenêtre. Cela rend tout de suite l'endroit plus gai, même si Dorémi est l'un des seuls professeurs qui de temps à autre veut bien faire cours dehors sous la demande de la classe à l'unanimité. Il peut admettre que, parfois, un peu de décoration redonne de la vie à un endroit.

« Elles ont de jolies couleurs. Différentes de celles de la semaine dernière. »

Il commente très peu ce genre de détails, encore moins devant la concernée, mais il les remarque toujours. Même le bouquet le plus simple pour colorer une pièce. Il ne l'avouera jamais, mais cela lui donne même un peu de compagnie quand il fait ses solos et que personne ne l'entend. Quelque part, au fond de lui, même durant les journées les plus grises, pétales ici et là le réchauffe un peu. Tout ça, il devrait probablement le dire à la concernée ; seulement il est têtu. Horriblement têtu.

« Je sais qu'il n'y a pas que les fleurs, qui vous charment. »

Et encore ce sourire à la fois narquois et chaud. Du bout des seuls doigts qu'il lui reste, il caresse un peu la piano en posant ses yeux dessus pour lui dire que c'est bien de l'instrument, dont il parle (et non de lui même s'il peut en jouer certains jours).

« Ce piano aurait bien besoin plus souvent de mains comme les vôtres sur ses touches... Si seulement vous délaissiez les orchidées. »

D'un air supérieur, il détourne la tête vers les jolis ornements qui peuplent la salle. Elle ne dégageait pas particulièrement de tristesse mais les petits cadeaux de Tsubaki dégagent indéniablement quelque chose d'accueillant dont on ne peut plus se passer. Cela lui fait mal au cœur de se dire qu'elle n'a pas seulement un talent musical ; elle est passionnée par la botanique, et elle y est douée. Rien qui ne va arranger l'humeur de Dorémi qui ne pourrait se targuer que de savoir déchiffrer des partitions et de maîtriser un peu de musique. Sans un bras, le choix des instruments, en outre, est quelque peu limité alors même son domaine de prédilection lui a fermé quelques portes pourtant chères à son cœur depuis toujours. Alors où trouve-t-il de la consolation ? Dans l'accomplissement des autres. Mais que peut-il face à quelqu'un qui n'a rien à apprendre ?