Supplice sans fin. Le sale gosse réprime un frisson face à la torture qui l’anime. Il parcoure silencieusement les rangées de la bibliothèque sous l’œil ébahi de ses camarades. La plupart le regarde avec appréhension. La réputation du cancre le précède et beaucoup craignent l’interruption de leur session de travail.
Le sérieux de la pièce l’étouffe, torture personnelle.
Il est rare de voir Castor arpenter cet espace de savoir, lui qui passe volontiers ses jours les pieds dans le vide plutôt que le nez fourré dans des bouquins stupides. La vérité, le savoir et la vie sont dans les faits. Les livres ne sont là que pour les souvenirs, de simples esquisses d’un passé dicté par les plus forts, passé qui occulte les vérités dérangeantes.

Mais il cherche Thorn.
La nécessité de passer du temps avec son ami se fait plus pressante. Il a besoin de le voir, que ses doigts entrent en contact avec la princesse ; pour se rattacher au monde, pour se prouver qu’ils sont vivants. Douce pulsion adolescente qu’il accepte sans comprendre.

Sauf que Thorn n’est pas dans sa chambre, et que lui n’a plus de batterie pour le contacter. Alors Castor cherche. Il commence par ses endroits fétiches, et cette salle de torture est sûrement l’un d’eux. Par moment, il se renseigne. Il interroge sans honte les élèves plongés dans un vieil ouvrage poussiéreux. Il fait courir le message comme quoi il cherche son ami. Sauf que celui-ci reste introuvable, et le sale gosse perd patience.

Il prend la décision de quitter les lieux quand la boule de papier rencontre sa jambe.
Il a toujours été trop curieux, Castor, mais les plus belles histoires qu’on se raconte le soir avant de dormir commencent toujours par des enfants fouineurs.

Il n’y a jamais rien de bon à rester à sa place, à préférer le calme affligeant à l’adrénaline de l’aventure.

Il trouve le rayon de médecine rapidement ; ou rapidement pour une personne qui le foule le sol de la bibliothèque qu’une fois l’an. Face à lui, un enfant. Il reconnaît sans trop de difficultés l’un des derniers arrivants, celui qui attend ses parents, qui espère qu’ils reviennent. Il ressent une certaine pitié envers ce genre de gamins.
Parce qu’ils n’ont pas grandi assez vite.
Parce qu’ils peuvent encore tomber de haut quand lui a le cœur blindé de ceux qui en ont trop vu.

— On a pas encore été présenté je crois. Il lui adresse ce sourire doux qu’il destine toujours à ses cadets. River, c’est ça ? J’ai cru comprendre que tu devais me parler d’un truc méga important ?

La vérité, c’est que Castor pourrait être un connard. Il pourrait envoyer balader le première année et continuer à chercher sa princesse. Mais alors, vaudrait-il mieux que tous les grands de ce monde qui détruisent, qui volent et qui tuent parce qu’ils en ont le pouvoir ? Serait-il réellement quelqu’un de bien ?
Non.

Il a de la peine pour les gosses comme River.
De la peine pour ces gamins dont l’existence a explosé du jour au lendemain, pour ceux qui ont perdu le bonheur et la famille aimante, la chambre colorée et les placards remplis de jouets, la douceur du foyer et le réconfort du goûter face aux chagrins enfantins.
De la peine, ou peut-être même de la pitié pour ceux qui ont troqué cette vie de rêve contre la froideur de l’orphelinat, ceux qui n’ont jamais été préparé à la souffrance, qui parle, parle et parle encore comme pour panser la douleur qui découle du silence.

Il est peut-être finalement plus simple de côtoyer la misère, d’être confronté trop jeune à la réalité du monde pour ne pas voir le bonheur comme un acquis mais comme un aboutissement.
Mais comment expliquer tout ça à un gamin qui pense que ses parents vont revenir ?

— Je vois. Le flot d’informations est trop important, même pour lui qui déverse habituellement un trop grand nombre de mots à la minute. La vérité, c’est qu’il n’est pas sûr de comprendre, pas sûr de savoir quoi faire des informations aléatoires balancées par ce gamin. En gros, tu attends de moi qu’on vole des livres ? Enfin, non, qu’on les libère, c’est bien ça ?

Cinq ans qu’il est arrivé à Prisme, qu’il erre chaque jour dans les couleurs de l’orphelinat à la recherche de la plus extravagante des idées. Cinq ans qu’il enchaîne les bêtises, qu’il s’accompagne des meilleurs, de Thorn sa princesse de toujours ou encore de Sun.
Cinq ans et il n’a jamais entendu une idée aussi surprenante, une idée aussi absurde. N’y a-t-il pas assez de livres en libre service pour qu’on veuille en rajouter d’autres sûrement tout aussi rasoir ?

La légende urbaine concernant son illettrisme est fausse, une rumeur comme une autre se diffusant dans un milieu adolescent, une rumeur qu’il soupçonnerait presque être lancé par Thorn.
Ce qui est vrai, c’est l’absence d’intérêt que le sale gosse porte aux livres. Il en lit peu, trop peu même d’après ses professeurs. Il déteste perdre son temps dans un ouvrage poussiéreux, il déteste que des simples mots sur papiers, écrits par des hommes de pouvoirs, témoignent d’une réalité quand personne ne considère la parole de millions d’inconnus.

— Évidemment que j’accepte. Il n’aime pas les livres, mais l’idée a le mérite d’être originale. Et peut-être que River sera heureux, quelques minutes, avant que la colle n’arrive. Parce qu’elle arrivera, la bibliothécaire n’est pas connue pour sa patience envers les enfants turbulents. Bon, suis-moi, mais chut hein.

Celle-ci semble occupée de l’autre côté et Castor fait signe au gamin de passer devant lui. Drôle de duo qui se dirige vers la porte de la réserve, drôle de duo qui tente d’ouvrir la porte pour la découvrir déverrouillée. Bizarre, le sale gosse est persuadé d’avoir entendu dire qu’elle était désormais toujours fermée.

— Bon, pressons-nous, j’ai un mauvais pressentiment là. Peut-être parce qu’il est désormais dans une pièce obscure entouré de livres, et que Thorn n’est même pas là pour voir ça.

HRP : je me suis permis de dire que la porte de la réserve était ouverte, ce qui veut dire que Fever doit y travailler et est susceptible de revenir à tout moment, et donc les surprendre. On pourra en discuter, mais je pourrais faire une intervention avec elle au besoin à un moment du rp.