Ils sont les guerriers de demain, placés sous la protection de Mars. Ils sont forts, ils sont rapides, ils se dépassent, de vrais vainqueurs en devenir.
Et Castor déteste ce discours plus qu’il ne déteste ses cours de maths. Il réprouve cette théorie mensongère qui ne lui correspond pas. Parce que Castor a déjà gagné. Parce qu’il est en vie.
Parce qu’ils le sont tous.

L’unique point qu’il concède à cette rhétorique dépassée est l’intérêt de la camaraderie. Personne n’ignore que lui, le sale gosse relégué aux dernières places, est toujours premier à vouloir s’entraîner. Il aime embarquer dans ses lubies amis et connaissances, toute personne dont la volonté première est de se défouler.
Parce qu’ensemble, ils dépasseront les limites du possible.

Son attachement à Zen vient de là. Rencontre banale lors d’un énième évènement du cercle, rencontre banale consolidée par une passion dévorante pour le sport. Son attachement vient du partage, des mouvements de boxe enchaînés entre quelques tours de terrain, des répétitions d’esquives avant de pousser son corps au maximum.

Alors le sale gosse sourit, encore et encore. L’entraînement est terminé mais le sentiment de plénitude ne le quitte pas. Aujourd’hui, Castor est fier de lui, plus qu’hier, moins que demain. Aujourd’hui, Castor est fier, et il n’est pas seul.

Et il parle. Il inonde d’un flot de paroles presque continu la gentille écossaise. Il parle, parle, parle trop.  Silence angoissant ou combustion des derniers grammes d’adrénaline ? Peu importe car seul compte le moment passé à deux, ce moment doux où il cultive l’impression de faire partie d’un tout.

Un filtre d’amour ?
Regard circonspect. Il observe avec méfiance la bouteille que leur tend le membre du club de paranormal. Il observe avec méfiance celui qui les arrête, s’attendant à un rire, à un aveu, blague lancée à la volée pour se faire mousser.
On ne plaisante pas avec la magie, lui a souvent répété sa mère.
On ne plaisante pas avec la magie et pourtant il attrape la bouteille avec une curiosité dangereuse.

▬ Un filtre d’amour ? répète-t-il. La vérité est simple, il n’y croit pas, incapable de se dire que cette bande de chasseurs de fantômes en carton a pu réussir là où tant de tantes ont échoué. Non mais avoue, c’est de l’eau au colorant ton truc ?

Il renifle le liquide d’un air avisé. L’espace d’un instant, Castor deviendrait presque raisonnable. Parce qu’on ne plaisante pas avec la magie.
Puis il boit.
Il boit parce que c’est ce qu’il fait de mieux Castor, des bêtises, encore et encore. Il boit parce que c’est drôle, parce que ça fait plaisir au gamin paumé avec son filtre d’amour bidon. Il boit et passe la bouteille à Zen, parce que chez Mars, on est courageux. Parce que chez Mars, on fait les choses ensemble.

Et ils reprennent sa route. Et Castor se remet à parler.

Les enfants de Mars n’ont peur de rien. Habités par le courage des héros et l’insolence des vainqueurs, ils affrontent les épreuves avec force. La bravoure les pousse à l’interdit, et ils le font bien.

Il y a une certaine fierté dans le regard de Castor alors que sa camarade l’imite. Une fierté enfantine, parce que l’acte montre au nombre l’union des individus dans la bêtise imprévue. Alors il ne la juge pas lorsqu’elle cite harry potter. Il ne pousse pas le vice à la traiter de vénus pour rire avec elle de ce côté je-sais-tout, de cette connaissance approfondie d’un livre qu’il n’a jamais pris le temps de lire, qui ne l’a jamais intéressé.
Il préfère à la moquerie le soutien et la camaraderie.

▬ Ils sont drôles, ces ghostbusters. Le sale gosse sourit. Il est sur ce petit nuage qui suit un bon entraînement. Leurs tantes leur ont pas appris qu’on ne joue pas avec quelque chose d’aussi dangereux ?

Un filtre d’amour.
Il n’en a pas besoin pour remarquer l’énergumène roux qui se plaint à l’autre bout du gymnase, pas besoin pour reconnaître cette voix qui le chamboule nuit et jour. Et Castor baisse les yeux, Castor force son regard à ne pas être attiré par cette unique direction. Il se fait violence pour pas courir, pour ne pas le rejoindre. Aujourd’hui, il préfère la sérénité de Zen à la tempête.
Parce que Thorn est son meilleur ami.
Parce qu’il n’y a dedans aucun rapport avec l’amour.

▬ Je te suis. Puis j’ai besoin de prendre l’air, il fait chaud non ? Il sait pourquoi Zen veut sortir. Elle fait partie de cette longue liste de personnes qui déteste Thorn, liste bien plus longue que celle de ceux qui l’apprécient. Je te parlais de la boxe. J’ai encore beaucoup de mal à être suffisamment patient pour attendre une ouverture je crois. Zen le bat systématiquement, et le gamin s’en fiche. Chacun sa spécialité. Et à tenir ma garde, mais ça tu l’as bien compris je pense.

Et Thorn n’est plus.
Le gamin oscille entre soulagement et déception. Il y a ces moments où il aimerait passer chaque instant en compagnie de son ami ; et ceux où il réalise que ce n’est pas possible. L’instinct de préservation lui dicte régulièrement de fuir pour ne pas subir les retombées de la colère brouillonne de sa princesse, pour ne pas faire office de punching-ball humain.

Parce que Castor mérite mieux qu’une personne qui rabaisse ses sentiments, qui le prend pour un moins que rien.
Mais il reste parce qu’il sait qu’au fond, cachées derrière des couches de douleurs et de fureurs, subsistent chez son ami de la douceur et de la tendresse.
Elles ne lui sont juste pas destinées.

Son attention se reporte sur Zen. Elle est avec lui un modèle de gentillesse, de bienveillance. Et d’un coup, il a presque honte de la regarder, presque honte de contempler ce visage. Le gamin baisse les yeux.
Il se sent vraiment bizarre aujourd’hui.

▬ Il fait chaud, tu trouves pas ? Et pourtant, le froid hivernal est bien là, mais ça n’empêche pas ses joues de roussir doucement. Le sale gosse regarde ailleurs.