Assis sur son lit, Angst réfléchissait.
Il dévisageait le tiroir de sa table de chevet, songeur, immobile depuis ce qui semblait être des temps immémoriaux, lorsqu'il s'anima soudainement. Il ouvrit le tiroir, farfouilla dans la pile de livres, carnets et feuilles volantes en tout genre, et en tira un cahier esquinté. Une fois l'objet posé sur ses genoux, le garçon sombra de nouveau dans une interminable réflexion. Sans s'en rendre compte, il se mit à tapoter la couverture cartonnée avec ses ongles.

Malgré ses précautions pour le conserver loin du regard des autres, ce n'était pas un cahier dont Angst prenait soin. Au contraire, il avait tendance à maltraiter l'objet. Après tout, il contenait tout ce que l'enfant abhorrait.
Les contours de la couverture cartonnée étaient émoussés, déchirés par endroits ; les pages étaient toutes cornées ou froissées. Et si, à son commencement, la mise en page était propre et l'écriture soignée, ce n'était absolument plus le cas aujourd'hui : Angst y écrivait le plus souvent d'une main fébrile, au milieu de la nuit, sous ses couettes et à la lumière instable de sa lampe torche. Parfois, dans un accès de colère, il trouait une page avec son crayon en raturant ou soulignant un mot.
Ce cahier était un journal intime.

Angst l'avait commencé suite aux conseils de son ancienne psychologue, en Autriche. Le début était écrit en allemand, les dernières entrées, quant à elles, étaient en anglais. Il n'y écrivait pas régulièrement, mais ressentait encore parfois le besoin d'y vider ses pensées – ses émotions, surtout, lorsqu'elles semblaient vouloir déborder comme l'eau bouillante déborde d'une casserole trop pleine : ses angoisses, ses colères, ses peurs. Tout ce qui menaçait de se déverser hors de lui trop violemment s'il ne s'épanchait pas avant.
Mais pour l'heure, ce n'était pas cette partie qui l'intéressait, mais la deuxième moitié du cahier.
C'était là qu'il recensait ses fantômes.

Il souhaitait montrer son inventaire à Red.
L'idée lui trottait dans la tête depuis un moment déjà. Voilà un an maintenant qu'Angst était suivi par le psychologue de Prisme. Il avait commencé par tout faire pour éviter le sujet des fantômes – mais Red s'était accroché, pour ne pas dire obstiné, et à présent une grande partie de leurs entretiens portait sur les apparitions. Red ne le jugeait jamais. Il parlait des fantômes d'Angst avec le même intérêt tranquille que s'il discutait de la météo – comme s'il n'y avait rien d'anormal dans cette situation.
Pourtant, Angst hésitait.
Devait-il vraiment montrer son cahier ? C'était une chose de parler des fantômes. N'en était-ce pas une autre de les répertorier précisément, avec leurs caractéristiques, leurs lieux, horaires et fréquences d'apparitions ? C'était la différence entre dire « J'ai peur des araignées » et dire « J'ai peur des araignées, alors j'ai établi un tableau de classification de toutes les araignées que je croise. » C'était la différence entre un sain d'esprit et un fou.

Un coup d’œil au réveil sur la table de chevet lui indiqua qu'il était l'heure de son rendez-vous, et qu'il n'avait pas avancé d'un iota dans sa réflexion. Angst fit défiler les pages à toute vitesse entre ses doigts, dans un sens, puis dans l'autre, comme un magicien battrait ses cartes – comme si cela pouvait l'aider à se décider plus vite – puis se leva brusquement. Il pouvait toujours emmener le carnet avec lui, et aviser à la dernière minute, non ? Le garçon roula le cahier, et le carton déjà bien abîmé de la couverture se lamenta et se craquela un peu plus, puis il s'élança hors de la chambre.

Quelques minutes plus tard il toquait à la porte, un peu essoufflé, et le cahier toujours roulé contre sa paume.

« Bonjour m'sieur » salua-t-il en ouvrant la porte. « Désolé si j'suis en retard. »

Machinalement, Angst alla s'asseoir dans son fauteuil habituel, près de la bibliothèque. Il se sentait toujours bien, près des livres.