La porte est là.

Lorsque vous la voyiez de loin, elle avait l'air d'être une porte comme les autres, comme sa chambre avait l'air d'une chambre comme les autres.

Une chambre du top 10, un peu plus grande, avec un seul lit, un bureau, un papier peint neuf, les murs éclaircis par une peinture plus claire, sans doute plus que celle des autres chambres.

Dans l'après-midi, les enfants étaient occupés par cercles et clubs, les autres jouaient dans la cour ou travaillaient à la bibliothèque. L'étage était silencieux.

On pouvait presque entendre le couinement d'une souris de l'autre côté de la porte.

L'idée lui avait trotté dans la tête toute la matinée. Angst l'avait laissé faire.

C'était une petite idée toute simple, presque bête même, et il n'avait pas pu s'empêcher d'y prêter un peu attention. Ces derniers temps il avait du mal à se concentrer sur les cours, alors l'idée n'avait eu aucun mal à germer, grandir, et finalement, gagner.

J'en saurais peut-être plus si je fouillais la chambre 4. 

C'était idiot, c'était culotté, et surtout c'était interdit – mais plus Angst y pensait, justement, moins il trouvait cette idée idiote et culottée. Toutes ses recherches le conduisaient à cette chambre, et il avait l'impression qu'il n'avancerait pas davantage tant qu'il ne l'aurait pas vue. Quant à l'interdiction... était-il à une punition près ? Quand on y réfléchissait, ça faisait longtemps qu'il n'avait pas été de corvée de nettoyage de cantine.
Il lui vint à l'esprit – très vaguement, très brièvement – qu'il aurait pu chercher l'identité du propriétaire de la chambre, et lui demander l'autorisation de la fouiller... Mais Angst n'avait aucune envie de partager son enquête. Et surtout, il était trop impatient.
Quand la cloche sonna la fin du dernier cours, Angst avait pris sa décision.

Il attendit que tous les élèves soient occupés, après le repas, par leurs activités – pour une fois, Angst se réjouissait d'être encore trop jeune pour appartenir à un cercle. Lorsqu'il traversa le couloir désert, seul le grincement du plancher lui répondit.
Une fois devant la porte de la chambre, machinalement, il renfonça sa casquette porte-bonheur sur son crâne. Il tendit l'oreille pour vérifier que la chambre était bel et bien vide. Quand il en fut certain, timidement, le garçon ouvrit la porte.
Les yeux verts balayèrent promptement la pièce. La chambre 4 était très similaire à celle que le garçon partageait avec Castor. La principale différence était qu'il n'y avait qu'un seul lit, qu'un seul bureau – cela faisait paraître la pièce plus grande, plus vide. Angst jeta un dernier coup d’œil au couloir derrière lui avant de pénétrer dans les lieux.

Bon. Il devait se montrer rapide et efficace. Ce qu'il cherchait ne concernait pas l'actuel locataire : il visait des indices vieux de dix ou quinze ans. Il dressa une courte liste de choses à inspecter – les meubles, les murs, le sol. Ce dernier avait l'air d'origine. Peut-être pouvait-il d'abord l'examiner, vérifier s'il n'y avait pas des lattes qui pouvaient se soulever ?
Angst se mit aussitôt au travail. Il était à quatre pattes sur le sol, la main plongée sous le lit pour tâter le parquet à cet endroit, lorsque la porte s'ouvrit et le révéla au nouvel arrivant.
Il se redressa brusquement, lâchant un juron lorsqu'il se cogna l'épaule dans le sommier au passage. Stupidement, il se rendit compte qu'il avait été trop exalté par son enquête pour réfléchir à une excuse convenable au cas où il se ferait pincer par l'occupant.

Mais ce n'était pas le propriétaire de la chambre 4 qui se trouvait devant Angst.
C'était le 3ème du classement.

Autant Angst ignorait qui logeait dans la chambre 4, autant il était plus que certain que ce n'était pas Artémis.
N'importe qui l'aurait su. Artémis était le seul, parmi le top 10, à partager une chambre avec quelqu'un. Sa position dans le classement lui permettait de bénéficier d'une chambre solo, mais il n'en profitait pas : ce genre de choses se savait, dans l'orphelinat.
Tout comme il était plus qu'évidemment que lui non plus, n'était pas le propriétaire de la chambre 4. Personne à l'orphelinat n'aurait pu en douter. Comment pouvait-il justifier sa présence ici ?
Tout à sa panique, Angst ne remarqua pas immédiatement qu'Artémis avait l'air de se poser la même question que lui. Après une hésitation, le nouveau venu se lança dans une explication  alambiquée à base d'araignée, de première année et de cadavre à rapporter. ... hein ? pensa la partie cohérente de son esprit, mais Angst n'eut pas le temps d'y prêter attention : à défaut de trouver un mensonge crédible, il se précipita dans le refuge qu'offrait celui d'Artémis. A peine avait-il fini de parler que sa propre bouche laissait déjà échapper ces mots :

« Ah oui, l'araignée, j'étais justement en train de la chercher ! »

Ce fut à cet instant précis que le cerveau d'Angst reprit le contrôle sur son corps. Juste un peu trop tard.
S'ensuivit un long, long silence, pendant lequel Angst eut tout le loisir de juger le niveau de stupidité de sa réponse. Il était évident qu'Artémis lui avait sorti un bobard ; tout ce qu'avait fait Angst, c'était lui confirmer que sa présence était aussi louche que la sienne.
Diverses pensées s'agitèrent à toute vitesse et se heurtèrent les unes aux autres à l'intérieur de son crâne. Plusieurs possibilités s'offraient désormais à lui :
1) S'esquiver. « Bon, pas d'araignée ici, eh bah je vais chercher ailleurs alors, salut. » – mais, dans ce cas, il aurait fallu qu'il renonce à son enquête et laisse sa place à l'adolescent dans la chambre 4, et il n'en avait aucune envie.
2) Poursuivre sur sa lancée. « Je continue de chercher l'araignée de ce côté, tu vas regarder par là ? » – pouvait-il poursuivre correctement son investigation dans la chambre, sous couvert de chercher une araignée qu'Artémis et lui savaient parfaitement imaginaire ? Les deux garçons pouvaient peut-être prétexter croire en leur baratin, enquêter discrètement chacun de leur côté et repartir l'air de rien ? Plus Angst envisageait cette possibilité, plus elle lui semblait improbable.
3) Jouer cartes sur table. Après tout, Artémis devait être ici pour la même raison que lui... n'est-ce pas ?

Angst se dandinait d'un pied sur l'autre, indécis ; il lâcha un soupir :

« C'est du pipeau cette histoire d'araignée, pas vrai ? »

Et si Artémis n'avait pas menti ? La vérité était parfois plus invraisemblable qu'un mensonge bien lisse. Et s'il était juste en train de se griller ? Sa bouche se tordit nerveusement. Il finit par se jeter à l'eau :

« Tu cherches des indices sur A, toi aussi... non ? »

Sa question résonnait malheureusement davantage comme un doute que comme une demande d'assentiment.