Le silence l’étouffe presque.
Ses yeux à moitié clos s’accrochent aux marques du plafond, ils s’accrochent pour consolider sa prise avec le réel. Il réfrène avec violence ce besoin de parler, de combler le vide de bruit qui cogne son cœur, qui fait disjoncter son cerveau. Allongé sur un tapis du grenier, il étouffe de cette solitude forcée, solitude imposée. Et il lutte contre ces pensées sournoises qui s’infiltrent, celles qui lui soufflent qu’il pourrait s’excuser, reprendre sa place aux côtés de la princesse pour le meilleur et pour le pire.
Sauf que Thorn ne connaît que le pire.

Sauf que Thorn n’est plus capable de lui offrir le bonheur de l’insouciance, que la colère a pris le dessus au point de balayer la douceur de l’enfance. Alors peu importe les remarques des autres, les railleries sur une potentielle séparation, peu importe qu’ils s’attendent tous à une action de sa part. Castor ne fait rien. Pour une fois, Castor ne peut aider.

Le silence l’étouffe presque et il se redresse trop vite au premier craquement. L’impatience boue en lui, l’impatience s’accroît face à la possibilité d’écarter la solitude, l’impatience presse à l’idée de ne plus se sentir abandonné.
Le sourire qu’il adresse à Grenade est radieux. Un sourire plein de promesses, de joie, et de sincérité. Et Castor lui fait signe de s’approcher en silence. Mais à deux, le silence devient plus supportable. À deux, il ne se sent plus harceler de toutes ces pensées funestes. À deux, il peut recommencer à respirer.

Grenade est nouveau.
Grenade est gentil. Il a ce regard doux qu’il ne parvient pas à cerner, ce regard doux qui l’intrigue depuis que les surveillants lui ont confié. Un premier année de quatorze ans tout droit sorti d’une mauvaise campagne étatsunienne, un premier année dont il faut prendre grand soin.
Et Grenade ne le connaît pour sa relation avec Thorn, Grenade ne connaît pour lui, pour le sale gosse qui courre partout, qui s’occupe des nouveaux comme il aurait aimé qu’on s’occupe de lui à son arrivée. Avec sincérité.

▬ T’es venu. Sa voix tranche avec le silence et il plaque ses mains contre sa propre bouche. Le couvre-feu a commencé, et ils ne peuvent faire de bruit sans risquer la colle. Faut pas faire trop de bruit, parce que les surveillants font des rondes. D’un geste de la main, il l’invite à venir s’asseoir, à se rapprocher. C’est cool que tu sois venu. Prisme la nuit, c’est grave plus cool que le jour, tu trouves pas ?

Il est heureux, revigoré par cette présence amicale. Il est heureux et oublie de s’en vouloir de l’amener avec douceur sur cette pente de l’illégalité, de lui faire croire qu’il est acceptable de sortir une fois le couvre-feu déclaré.
Le sale gosse n’a jamais compris le pourquoi de telles obligations, pourquoi ils ne pourraient profiter de la nuit pour réapprendre à vivre, pour côtoyer la beauté des étoiles et la douceur la nuit.
Grenade ne lui en voudra pas, il le sait. Et au pire, Castor jouera le parrain jusqu’au bout, jusqu’à faire expérimenter à son filleul les heures de colle.