Feat Away

Elle l’avait vu, et lui l’avait remarquée. Elle était là, debout, à observer sa victime. Elle avait réussi à fuir sa cage, la cuisine, le bâtiment… elle était à l’extérieur, prête à se battre contre ces terribles humains qui devaient normalement la manger. Elle était née dans un élevage, avait vu sa mère et ses sœurs périr, ses frères être embarqués, tout comme ses amis, avant de finir dans une cuisine. Elle avait été tenue prisonnière pendant quelques jours, promise à un tragique destin digne des familles des mythologies grecques. Mais est-ce que comme Ulysse elle allait pouvoir retrouver les siennes ? Ou devra-t-elle abandonner ce plan pour vivre une aventure palpitante dans les campagnes anglaises ? Pour l’instant, elle devait réussir à s’évader, à quitter le territoire de ces dangereux humains qui pouvaient, à ses yeux, se ruer à tout moment sur elle pour la déchiqueter et la dévorer sur place ; les Hommes n’étaient pas mieux que les renards, si bien même que si jamais cette espèce descendait vraiment des singes elle pouvait constater que certains individus avaient sautés quelques branches. Alors qu’elle s’imaginait s’échapper sans aucun problème voilà qu’elle tomba nez à nez avec un drôle d’individu. Jeannine la Dinde s’arrêta, levant le bec pour observer ce drôle d’oiseau.

Petit comparé aux autres, fins…
Malgré sa cape imposante….
Il devait être faible….
Et autant en profiter….

Hector, après ses cours, était sorti pour prendre un peu l’air et réfléchir. Ces temps-ci, le jeune homme qu’il était se posait des questions existentielles comme tous les adolescents de son âge ; les fantômes et les démons pouvaient-ils être considérés comme des cryptides ? Car après tout, il n’y avait aucune preuve formelle de leur existence bien qu’il y avait de nombreux témoignages. Les anges aussi pouvaient en faire parti également, puisque les athéistes ne croyaient pas en leur existence, tout comme les amérindiens croyaient à l’Oiseau-Tonnerre (pour être vulgaire) alors qu’il n’était pour les européens et autres pays qu’une invention. Il avait envie de rencontrer un pasteur ou un prêtre pour y poser la question, néanmoins il devra se contenter en attendant d’une potentielle sortie de rendre une petite visite au club de paranormal et discuter avec eux : ce qui était bien avec les membres de cet autre club, c’était qu’il n’y avait jamais de moqueries entre eux, et ça, c’était beau.

Alors qu’il regagnait le bâtiment, Jonathan fut surpris de trouver devant lui une dinde. Que faisait-elle là ? S’était-elle enfuie ? Et par conséquence, comment devait-il agir ? Savoir que Prismes tuait ses propres volailles pour la nourriture le faisait grimacer et le garçon ne pouvait pas la laisser à une fin tragique. Se l’imaginer là, prête à se faire couper la tête pour se faire déplumer réussissait à faire pâlir le garçon qui en avait presque les larmes aux yeux. Pauvre bête ; peut-être devait-il la laisser partir, toutefois elle pouvait se faire tuer par un animal sauvage ; entre les renards, les chats, les chiens errants et les haggis sauvages… Peut-être pouvait-il la prendre sous son aile et demander gentiment à la direction s’il pouvait prendre ce volatile comme mascotte pour son club car si elle avait pu fuir les cuisines, c’était sans doute parce qu’elle était très intelligente. Grand sourire, se sentant l’âme d’un héros, il se pencha sur la petite créature ;

« Hey coucou toi. Ça te di…. ? »

BAM ! Il n’eut pas le temps de terminer sa question que le gallinacé sauta pour l’attaquer au visage ; heureusement, Hector eut pour réflexe de se protéger avec le bras et de reculer avant de se rendre compte d’une terrible chose ; Jeannine la Dinde le suivait. Peut-être était-il fou, néanmoins il savait que ces bêtes étaient atroces, pires que tous les prédateurs se trouvant sur le territoire anglophone, à courser ses cibles et les blesser. Le scientifique en herbe se suggéra mentalement la fuite, manquant de trébucher sur sa cape au passage, et voilà que le plumeau avançait de nouveau, poussant son majestueux cri dindonesque. Hector commença à marcher rapidement en une direction, jetant des regards derrière lui en constatant qu’il était encore harcelé avant de se mettre finalement à courir. Oh il n’était pas le meilleur en sport, ses autres notes rattrapaient bien ce domaine, mais l’adrénaline et le sentiment de danger lui procuraient une étrange endurance et une rapidité qui lui avaient été jusque-là inconnues, d’autant plus que la cape de velours, lourde, le ralentissait un peu.

Hector continua sa course, lâchant entre deux souffles quelques appels au secours, espérant que quelqu’un lui vienne en aide, mais malheureusement tous semblèrent sourds à sa détresse… ou alors étaient-ils trop préoccupés à se moquer de lui. Peut-être que s’il s’approchait de l’eau, cette créature qui n’a jamais vu un étang ou un point d’eau de sa vie en aurait peur ? Essoufflé, l’adolescent prit la direction de la piscine mais vit, en y approchant, un camarade qui ne lui était pas inconnu.

« Away ! Réussit-il à crier. Fuis !.... Je !... Je me fais courser…. Par une dinde ! »

Jamais il aurait crû qu’un jour il aurait à hurler ça à son ami, mais au moins ça fera un bon souvenir pour plus tard.