Longue matinée au goût âpre. Les choses se déroulaient lentement sous les yeux de Kind, qui observait le monde avec une passivité déconcertante. Ça sentait l’automne, et si d’ordinaire il y avait de quoi se réjouir, aujourd’hui, tout lui semblait étrangement morne. Les arbres qui s’étaient habillés d’une parure de feu n’y pouvaient rien, et même leur douce gaieté ne parvenait à faire sourire Kind, qui ne percevait dans ce sombre tableau que le noir de jais des corbeaux, coassant à qui mieux-mieux que l’hiver serait proche, apportant son lot de désolation. C’était d’ailleurs une saison qu’elle n’aimait pas le moins du monde ; l’hiver. C’était froid, humide, embarrassant et ça ne lui donnait pas envie de se lever le matin pour affronter les mines froides et renfermées des élèves de l’orphelinat.

Refreinant un énième soupire qui semblait vouloir s'échapper de ses lèvres, Kind feuilleta doucement le livre qu'un élève venait de lui rendre. Un vieux truc vraiment moche, qui ne lui plaisait pas franchement et qui n'avait, on peut le dire, aucun fichu rapport avec les études. Une sorte de livre de cuisine des années cinquante, totalement arriéré et genré, qui ne laissait aucune place au doute quand au fait qu'il était adressé à un public exclusivement féminin. Un torchon en sommes. Le refermant sèchement -et s'attirant le regard réprobateur d'un élève visiblement occupé à lire un livre et à qui elle aurait bien donné une paire de gifle pour la regarder de la sorte- Kind se leva et décida de foutre cette immondice dans la réserve, le temps de lui trouver une cheminée parfaite où elle pourrait le faire brûler. Elle le posa sur une étagère et se promit de faire un peu de rangement dans les jours à venir. Puis, comme il était hors de question de rester assise derrière son bureau plus longtemps, elle décida d'aller ranger les derniers retours qu'elle avait et qui traînaient dans un coin. Ce n'était pas son activité favorite, mais elle aimait bien se perdre parmi les grandes étagères, laissant son regard fureter sur les centaines d'ouvrages qui les habitaient. C'était un moment plutôt apaisant, qu'elle considérait comme une sorte de petit rituel sacré et qui, bien qu'il ne durât pas plus d'un quart d'heure aujourd'hui, lui apportait une certaine satisfaction.

Dans sa tâche, elle fut interrompue par une jeune fille qui lui demanda conseil. Elle se hâta de l’aider, avec avidité et bienveillance, heureuse de pouvoir rendre service. Elle resta à ses côtés un long moment et toutes les deux finirent même par bavarder d’autre chose. Finalement, elle ne revint à son bureau qu’une bonne heure plus tard, avec la ferme intention d’attaquer ce fameux tri qu’elle laissait trainer depuis bien trop longtemps.

Qu'elle ne fut pas sa surprise, en poussant la porte, de constater qu'un étudiant s'y trouvait et surtout, qu'il était là sans son accord. Franchement, ils formaient des sauvageons ici ? « Mais qu'est-ce que tu fous ici toi ? » Chassez le naturel, il revient au galop ; le franc parlé de Kind à peine maîtrisé, les poings sur les hanches, elle toisa sévèrement le jeune homme qui lui faisait face. Elle l'avait déjà vu quelque part et en cherchant, elle percuta ; ce n'était pas l'un des meilleurs élèves de l'établissement ? C'était quoi son prénom déjà ? Thor, non ? Comme le dieu nordique, ou une connerie du genre. Bon sang, cette situation semblait franchement fâcheuse et ne lui disait rien qui vaille. Soufflant doucement, elle le toisa encore une seconde, songeuse. Est-ce qu'elle devait lui hurler dessus ? Ou passer pour cette fois ? Après tout elle ne l'avait encore jamais surpris ici et même si elle n'aimait pas franchement le fait qu'on fasse les choses sans lui demander, il ne semblait pas non plus avoir mis le feu à la réserve. « On va dire que tu t'es perdu, ça arrangera tout le monde. » Mais en fait, non, elle ça ne l'arrangeait pas vraiment. Elle n'aimait pas que des élèves viennent dans la réserve comme ça, sans demander. C'était rempli de vieux livres qu'elle devait encore trier et qui selon elle n'avait rien à voir avec des études. « Je préfère te prévenir que si je découvre quelque chose qui me déplait dans les jours à venir, j'en parlerai. » Juste une annonce, pas une menace. Mais en fait, ça sonnait carrément comme une menace là, dit comme ça. Elle soupira doucement, toujours aussi las de cette drôle de journée et en secouant doucement la tête, elle préféra abdiquer. Lentement, elle s'effaça pour permettre au plus jeune de sortir. Qu'ils en restent là tous les deux, elle n'avait pas franchement de temps à perdre à chercher le pourquoi du comment.

Et c’est qu’il ne bougeait pas, l’apprenti sdf dans sa couverture miteuse. Besoin d’un p’tit thé et de petits biscuits peut-être ? « Ce n'est pas très gentil d'accuser sans preuves. Même si je n'ai pas le droit d'être ici. » Il suffisait d’entendre ce ton avec une pointe de condescendance pour comprendre que Kind venait de tomber sur un gosse persuadé de tout connaitre de ce monde. Allons bon, elle n’avait ni l’envie ni même la patience d’avoir envie de l’écouter bien plus longtemps. Elle n’avait pas non plus envie de débattre avec lui. Les gosses ingrats et imbus de leurs propre personne, ce n’était certainement pas à elle de les mater. « Effectivement, tu n’as pas le droit. » Juste histoire de le souligner. Car si personne n’était parfait et qu’il était agréable pour elle de se trouver face à des personnes qui reconnaissaient leurs erreurs, elle était moins encline à papoter avec des personnes persuadées d’être dans leurs bons droits uniquement parce qu’elles avaient de bonnes notes. Un « A » ne permettait pas de tout savoir sur tout. Un « A » n’était pas signe de culture et de connaissance, juste d’une capacité de mémorisation. Cette arrogance qu’il avait, n’était en rien mérité, mais Kind songea un instant au fait que tous les gosses arrogants l’étaient pour une bonne raison et qu’il n’échappait absolument pas à cette tendance.

« Je travaillais. Pour la question de ce que je foutais ici. Y'a trop de bruit dans la bibliothèque, on dirait que vous ne savez pas la surveiller. » Elle haussa les épaules. S’il comptait l’atteindre comme ça, qu’il essaie. Kind n’avait pas une grande fierté et n’était arrivée ici que depuis peu, elle ne s’y sentait pas totalement à l’aise, alors les remarques, elle se les carraient bien volontiers dans une partie génitale. « C'est une menace, donc, ce que vous avez dit ? Et combien même j'aurais fait quelque chose, qu'est-ce qui vous dirait que ce serait vraiment moi ? Aucune preuve, j'ai dit. » Il essayait de faire quoi, là ? Toujours en haussant les épaules, Kind répondit simplement ; « Ok, cool. » Ouais, c’était son petit côté désinvolte ça. Quand les choses devenaient un peu trop tendues, Kind était du genre à totalement s’en moquer. Elle ne prenait pas à cœur toutes ces conversations peu intéressantes et qui ne la motivaient en rien à continuer de palabrer. S’il n’avait rien d’intéressant à dire et s’il se contentait d’agir comme un sauvageon, il n’avait plus aucun attrait pour elle. Kind ne s’intéresserait plus à lui, elle ne l’aiderait pas et elle s’en moquerait éperdument à l’avenir. Enfin, avant elle irait probablement signaler ce comportement, juste pour que ce soit notifié dans le dossier du gosse, parce qu’elle aimait bien descendre ceux qui n’éprouvaient pas la volonté d’être bienveillants. A moins qu’il ne s’agisse là que d’une carapace. Elle aurait tout le temps de démêler le vrai du faux-semblant d’ici ce soir lorsqu’elle prendrait une décision. Mais pour l’heure, elle devait rester impassible. En fait, pendant un instant elle avait été tentée de lui répondre ‘’ok cool mais moi au moins j’ai des parents’’ mais c’était peut-être un peu trop extrême. Et puis surtout, elle était censée être l’adulte, celle qui devait garder la tête sur les épaules. Pas celle qui fout des coups de tête et des balayettes aux gosses qui n’ont pas eu suffisamment de corrections par le passé. Pour l’heure, il fallait surtout faire dégager le morveux ; « Maintenant tu veux bien sortir et foutre la paix à ceux qui travaillent ou tu comptes nous faire un siting dans la réserve ? » Parce que cet idiot n’avait toujours pas bougé en fait, se contentant d’attaquer avec des mots. Difficile de faire deux choses à la fois, son cerveau devait avoir la taille d’un haricot tout compte fait. Il était même tout à fait certain que s’il avait une bonne position dans le classement, c’était probablement grâce à quelques ruses et tricherie. Elle en toucherait un mot à ses collègues, par curiosité ; après tous certains faisaient parti des meubles ici et il n’y avait aucun doute quand au fait qu’ils savaient bien des choses.

« Ok. Excusez-moi, ce n'est pas la peine d'écrire ça dans mon dossier. » Pour qu’il se ravise de la sorte, il devait bien avoir compris la menace sous-jacente aux propos de Kind. Cette dernière souffla doucement et haussa les épaules. Parfois elle avait franchement l’impression que tout cela la dépassait, et de loin ! « Je peux vous aider à ranger de temps en temps, si vous voulez. » Kind tiqua. Est-ce qu’il se foutait de sa gueule ? Elle le sonda du regard un instant, se retenant de lui rire au nez. Elle ne parvint cependant pas à déceler la moindre moquerie dans son regard. Ce qui voulait dire que soit il savait bien jouer la comédie, soit il était sérieux. Dans tous les cas il semblait évident qu’il ne le faisait pas par pure bonté d’âme mais bien parce qu’il avait quelque chose derrière la tête. Aussi la jeune femme préféra rester muette encore quelques secondes pour éviter de dire la moindre bêtise. Maintenant qu’il était sorti de la réserve et que la porte était fermée, elle pouvait faire comme si de rien était. Enfin, tout du moins pouvait-elle essayer de faire comme si de rien était. « Vous devriez utiliser un vocabulaire moins vulgaire, nous sommes des enfants, merde. » Kind ne put s’empêcher de sourire. Ça c’était drôle, enfin si toutefois c’était de l’humour. A nouveau elle haussa les épaules, presque par tic, ou par réflexe. On lui avait déjà fait cette remarque un bon milliard de fois, mais cela ne l’empêchait pas de toujours rester la même, avec cet horrible langage qui n’avait rien de joli dans sa bouche. Qu’importe, elle n’était pas née pour plaire aux autres et elle préférait de loin garder son petit langage afin de l’utiliser comme bon lui semblait. « Un enfant qui dit merde, hein ? » Elle n’attendait pas particulièrement de réponse de sa part, il pouvait être grossier s’il le voulait, elle ne lui ferait pas la moindre leçon de morale -de toute façon elle aurait été mal placée pour ça.

« Je faisais un devoir, vous n'avez rien sur les mathématiciens arabes ? C'est pas dans le devoir, mais c'est intéressant. » Elle hocha doucement la tête alors qu’elle réfléchissait. Il était vite passé du coq à l’âne, mais dans un sens, ça l’arrangeait elle aussi. Elle hocha doucement la tête, il y avait quelques livres sur le sujet ; très peu, mais peut-être suffisamment pour satisfaire son début de curiosité. « Suis-moi s’il te plait. » Et sans vraiment attendre, elle se dirigea vers les rayons dans le fond de la bibliothèque. Ce n’était pas les livres les plus intéressants, et les élèves n’avaient pas pour habitudes de les emprunter, ni même de les consulter, mais étrangement, cela ne l’étonnait pas, Thorntue Ninja avait l’air de fonctionner différemment des autres. Ses doigts parcoururent les livres un instant alors qu’elle ralenti le pas, puis finalement elle s’arrêta et désigna trois livres sur les mathématiciens arabes en grimaçant ; « Ouais, je n’arrête pas de le dire, mais il manque des trucs… Enfin, tu as ceux-ci, si tu veux… » Elle n’aimait pas faire croire que la bibliothèque était pauvre en contenu alors que depuis son arrivée elle faisait son maximum pour la renflouer dans de multiples domaines, aussi enchaina-t-elle sans trop attendre ; « Si les mathématiciens t’intéressent, on a aussi quelques ouvrages sur les français. Un peu plus du coup, car beaucoup étaient aussi philosophes, comme Poincaré par exemple. C’est une approche différente, mais peut-être que ça pourrait t’intéresser, qui sait ? » Ses propos s’envolèrent doucement alors qu’elle resta immobile et songeuse. Dans le fond, même si elle était du genre rentre dedans, le fait qu’il se plaigne du bruit l’avait un peu perturbé car elle faisait son maximum pour que la bibliothèque respecte tous les étudiants et leur besoin de se concentrer. Or, il semblait avoir besoin du silence absolu, et du coup, elle était gênée. Car après tout, s’il le lui avait demandé, elle aurait trouvé une solution pour l’aider. Elle aimait aider les autres. Elle souffla et se reprit avec un léger sourire : « Bon, si tu n’as plus besoin de rien, je te laisse tranquille !.. »

Elle pourrait peut-être lui proposer des heures de lectures différentes ? Venir plus tôt ou terminer plus tard à la bibliothèque pour qu’il ait davantage de temps, ou quelque chose du genre. Une alternative tout du moins à cette réserve fermée -parce qu’il était absolument évident qu’elle ne la laisserait plus ouverte désormais. Elle songea un instant avec dépit à ce côté idéaliste en elle qui voulait tant aider les autres, même lorsque ces autres en question ne semblaient pas apprécier la main qu’elle leur tendait. Dépitant en sommes.  « C'est un devoir sur le Moyen-Orient. Je ne vous contredirais pas comme quoi ce sont des sujets intéressants, mais. » Mais ? Kind s’attendais déjà à la suite. Plus tard. C’était la façon la plus polie qu’avaient les gens de lui dire qu’ils s’en moquaient bien, de ces petites recommandations. Bah. Ça lui faisait un peu mal au cœur, mais qu’est-ce qu’elle y pouvait franchement ? Et puis parfois, lorsqu’elle avait de la chance -car oui, elle était obligée de résumer ça à de la chance- elle tombait sur une personne enjouée et intéressée qui écoutait ce qu’elle disait et s’empresser de charger ses bras de livres. Parfois, elle avait même le plaisir de voir d’autres personne prendre un livre ou deux, pour lui faire croire qu’ils étaient intéressés, et revenir plus tard, après avoir découvert avec bonheur qu’elle ne racontait pas n’importe quoi. « Mais pour l'instant, déjà que je suis hors sujet, je vais bosser à fond ce sujet-là. Je reviendrais à Poincaré plus tard. » Mmh. Elle s’y était attendue. Doucement Kind haussa les épaules sans ce défaire de son sourire habituel avant de hocher là tête. Elle n’en laissa rien paraitre, mais comme souvent elle était déçue. De ne pas faire plus, de ne pas pouvoir aider plus. « Pas de soucis, je te laisse alors, si tu as besoin d’autre chose, n’hésite pas à revenir vers moi ! » Elle sourit de plus belle et tourna les talons pour commencer à s’éloigner. Il fallait qu’elle aille s’installer derrière son bureau pour garder un peu la face, sinon, d’ici quelques secondes elle afficherait une mine dépitée et elle le savait d’avance, Thorntue Ninja se moquerait d’elle. De toute façon, si elle l’avait bien cerné, ce garçon un peu sauvageon était trop loin de la complexité du monde ; il posait sur ce dernier un œil distant, morne, en retrait. Il s’imposait comme juge et bourreau à la fois de tout ce qu’il observait, de tout ce qu’il voyait, pour faire naitre une sorte de flegme insultante. Il ne vivait que pour Prisme et faisait son maximum pour être dans le classement, quitte à lécher les pieds d’une pauvre bibliothécaire. C’était donc ça, Prisme. Si au début Kind avait tenté de ne pas y prêter trop attention, elle commençait un peu à se perdre dans tout cela. Aimait-elle réellement voir des élèves torturés intérieurement, façonné différemment ? Certes Thorn avait une bonne place au classement, mais une fois adulte, que deviendrait-il ? Un marginal, un égocentrique qui ne parvient pas à tisser des liens. Et au fond de son cœur abrupte, Kamille ressentait de la peine. Une peine que Kind avait oubliée, le jour ou elle avait accepté de rentrer dans ce bien étrange moule.

Elle aurait pu songer à cela encore des heures, mais un vacarme assourdissant la figea. Elle n’avait pas quitté Thorntue Ninja deux secondes que déjà il s’amusait à tout foutre en l’air. Kind s’apprêtait à lui hurler dessus, vraiment. « Dégageee ! » Ce n’était pas à elle qu’il parlait mais bien à la petite bête volante qui bourdonnait sous son nez qu’il parlait. N’écoutant que son cœur, la jeune femme -mais qui était également la seule adulte de la pièce, regarda autour d’elle ; pas question de tuer l’insecte, peu importe son espèce. Elle trottina jusqu’à son bureau, attrapa son verre d’eau qu’elle avait fini quelques heures plus tôt, un vieux bouquin qui traînait là, puis elle revint vers l’enfant qui s’agitait toujours. « Cesse de bouger, tu vas te faire piquer. » Après deux tentatives qui se soldèrent par des échecs, elle parvint finalement à attraper la petite bête dans le verre, qu’elle garda enfermé grâce au livre. Elle posa le tout sur une table et vint s’agenouiller près du jeune garçon. « Est-ce que ça va ? Est-ce que tu t’es tapé la tête ? » S’il était blessé, elle s’empresserait d’en informer le médecin pour qu’il se déplace, sinon, elle l’enverrait faire un tour à l’infirmerie -juste au cas où. « Je peux regarder si tu veux. » Elle n’était pas docteur mais avait son diplôme en secourisme comme toute personne habilitée à travailler avec des adolescents et des enfants. Et alors que son regard dérivait sur les livres éparpillés au sol, elle songea avec amertume qu’aujourd’hui encore, elle devrait probablement faire des heures supplémentaires.

« Sale b- » Hein ? Quoi ? Il allait dire quelque chose non ? Kind paniqua légèrement. Pourquoi ne poursuivait-il pas sa phrase ? Les sourcils froncés, le regard peiné, la bibliothécaire se pencha légèrement en avant. Désormais les livres étaient bien le cadet de ses soucis, tout comme l’insecte qui bourdonnait furieusement sous sa cloche de verre. Que devait-elle faire ? Elle avait bien sûr été formée afin de pouvoir aider les élèves blessés, mais personne ne lui avait jamais apprit à appréhender un sauvageon comme Thorntue Jambe de Bois et elle était tant anxieuse à l’idée de l’aider qu’à l’idée qu’il ce soit fait mal. « Pratiquement rien. Je. Je vais juste aller un peu me reposer. » Pratiquement rien hein ? Immédiatement Kind secoua la tête, ça ne lui disait rien qui vaille tout ça. Il était blanc comme un linge, plus blanc que sa peau à elle -ce qui relevait de l’exploit- et il avait du sang sur la main qu’il venait de passer à l’arrière de son crâne. « J'ai la tête qui tourne un peu, ne vous embêtez pas, au moins, j'ai pas été piqué, je suis allergique. » Il lui lâchait ça comme si ça n’avait rien de grave et le cœur de Kind se serra. Le petit sauvageon qu’il était avait trop apprit à compter sur lui-même et voilà que désormais il minimisait un peu trop les choses. « Ça suffit Thorn. » Sa voix était douce, mais ferme. Il fallait qu’elle intervienne car déjà se hissait-il sur ses deux jambes en chancelant. Il ne fallait pas qu’il se relève, elle le savait pertinemment. Mais comment faire avec un gosse qui ne tient pas en place. « Tu saignes, c’est forcément grave. Je ne veux pas te forcer, mais si tu ne restes pas ici le tant que le médecin scolaire se déplace, je te ligote et je t’enferme dans la réserve. » La fameuse réserve, une fois de plus. Elle fronça de plus belle les sourcils alors qu’elle interpelait d’un signe de la main une élève qui observait silencieusement la scène. « Va me chercher quelqu’un à l’infirmerie, et que ça saute ! » L’élève fila et Kind reporta son attention sur Thorntue Jambe de Bois. Pas question qu’il reste debout, à ça non ! Surtout qu’il allait bientôt commencer à foutre du sang partout. « Viens avec moi. » Lentement elle le guida à une chaise, car si elle ne parviendrait pas à l’allonger et lui surélever les jambes, elle pouvait au moins faire ça et elle lui indiqua qu’il devait s’asseoir. Puis elle sorti un paquet de mouchoir de sa poche et le lui tendis. « Mets ça sur ta blessure, tu veux ? » Elle serait bien allée chercher sa trousse de secours, dans la réserve, mais c’était un coup à ce que cet idiot lui file entre les pattes, or, elle en était responsable.

Il y eut un moment de flottement, de silence, que seuls les bourdonnements de l’insecte parvenaient à perturber. « Pas la peine de me parler comme à un gosse, je serai resté tranquille. » Kind fronça légèrement les sourcils. A un gosse ? C’est sûr que du haut de son mètre cinquante -et encore- et de ses quatorze ans, il avait tout d’un adulte responsable. Mi-outrée, mi-agacée par un tel comportement, elle se contenta de croiser les bras sous sa poitrine tout en le fixant. Tout de même, depuis qu’elle était arrivée à la rentrée dernière, c’était la première fois qu’elle devait faire face à une situation aussi catastrophique et elle n’aimait absolument pas ça. « Bien sûr ! » Ironiquement, elle secoua la tête. C’est à ce moment là que le médecin arriva. Après l’avoir rapidement briefé sur la situation, elle le laissa faire, restant modestement en retrait. Quelque part, elle était soulagée de ne pas avoir à s’en mêler. Elle, elle était un peu larguée, là tout de suite. Ça l’arrangeait donc que ce soit quelqu’un qui s’occupe du chiot blessé qui, en plus de japper à tout bout de champs semblait également sur le point de mordre.

Finalement, après une consultation rapide, le médecin quitta les lieux et elle s’autorisa à souffler. Avec un doux sourire elle remercia l’élève qui était allée chercher le docteur et elle reporta son attention à la teigne rousse. « Je peux partir, maintenant ? » Qu’est-ce qu’elle pouvait faire de plus finalement ? Kind n’était en rien sa mère, elle n’avait pas à le materner ou à le couver –et en avait-elle réellement envie au vu de son comportement ? Elle n’était que la bibliothécaire et elle avait suivi la marche à suivre à la lettre. Maintenant qu’il avait été vu par un médecin, elle n’avait plus aucune responsabilité, ni même la moindre obligation à son égard. Elle soupira et secoua doucement la tête, las. Finalement, d’un geste de main, elle le libéra. « Passe une bonne fin de journée. » Puis Kind décida de reporter son attention sur l’insecte qui avait finalement décidé de se calmer pour se poser sur le livre qui faisait office de socle. Elle devait le libérer, lui aussi. Avec la plus grande des précautions, elle alla ouvrir l’une des fenêtres de la salle, puis, rendit sa si précieuse liberté à la petite bête en prenant le plus grand soin de ne pas la blesser, ni même risquer la moindre piqûre de sa part. Après ça, Kind observa avec dépit les livres tombés des étagères. Il n’avait même pas eu la gentillesse de lui proposer de l’aide à ce sujet. Tant pis. En soupirant, elle décida de remettre un peu d’ordre dans la bibliothèque, maintenant que la tornade avait quitté les lieux.