L’idée est déraisonnable, le garçon irraisonné. Des jours entiers qu’il tente d’échapper à cette nouvelle obsession qui le presse, cette obsession qui le dévore de l’intérieur. Increpito touche du bout des doigts sa destinée, et n’en dort plus la nuit. Il pèse les pour, il pèse les contres. Dans un élan de folie, il se surprend à envisager une issue couronnée de succès. Il croit en une fin victorieuse où il récolterait les louanges de son action belliqueuse.
Sa cause est noble. Il se doit de protéger le faible face au monstre qui rôde aux contours du domaine, de préserver le cœur de l’ami qui s’engouffre dans les ténèbres d’une dévotion à sens unique.
Il doit sauver l’honneur de Georges. Libérer le garçon du charme obscur que lui a lancé Heaven. Libérer le garçon pour que le monstre ne puisse nuire à sa grandeur. Jubilant presque de la dimension chevaleresque de sa mission auto-proclamée, il se dirige d’un pas décidé vers cette cabane coutumière. Les doux souvenirs des soirées arrosées lui reviennent alors, et le héros se sent habité par une ferveur nouvelle. Il ne doute plus : l’honneur de Georges ne vaut-il pas tous les sacrifices ?
Le dévouement dont il fait preuve dans sa quête est anormale. Increpito brûle de ce besoin de frapper le jardinier dans cette vengeance qui n’en est pas une. Plus impressionnant encore, il découvre la nécessité de s’élancer dans un acte désintéressé ; et peu importe l’avis de la plèbe, il définit ses agissements comme purement détachés de toute considération personnelle. Il se sacrifie pour l’honneur de Georges. Il se sacrifie pour lui. Rien de plus.
L'homme lui fait face. L’absence d’inquiétude sur le visage du jardinier créée une fureur qui embrase l’intégralité de son être. Il prend l’ignorance comme l’acte ultime de provocation ; son poing se serre.
Heaven est beau ; cette évidence n’est en rien contestable, même pas par lui. Heaven est beau et il comprend les sentiments de Georges pour cet homme atypique. La colère qu’il ressent est brute, entière. Heaven est beau et il doit y remédier. Il doit briser la beauté. Pour l’honneur de Georges.
▬ Et toi, là.
Il avorte les vaines tentatives d’intimidations verbales. Il avorte ce qu’il sait ne pas être sa spécialité pour se concentrer sur sa force véritable. Le coup de poing part. Le coup de poing s’écrase contre le visage de cet homme. Il y met toute sa force, tout son cœur, toute son âme. Il y met toute sa force, et ce qui reste du reste.
▬ Tu vas laisser Georges tranquille maintenant, t’as compris ? Il a ce regard dur de ceux prêts à tous ; ces mêmes idiots qui se lancent dans des combats perdus d’avance sans réfléchir.
Mais Increpito est confiant.
La victoire est à lui. Et aujourd’hui, Georges ne pourra contredire la véracité de ses propos : Heaven mérite le coup. Il mérite tout ce qui lui arrivera pour les atrocités commises. Pour l’honneur de Georges, il se prête à un jeu dangereux. Pour l’honneur de Georges, il est prêt à tout.
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devil inside meLe coup vola. Heaven n'y croyait pas. Or, la vérité s'imposait d'elle-même : le garçon l'avait frappé. Un goût métallique, particulier s'amusait même déjà à danser dans sa bouche, le moquant d'un air railleur.
Il cracha, dégageant sa bouche de cette horrible sensation. Et enfin, il se redressa. De toute sa hauteur. De toute sa personne. De toute sa grandeur.
Ses doigts devenaient fous, remuant à un rythme effréné. La colère le guettait déjà, mais elle resta étrangement enfouie. Comme si le jardinier n'en voyait pas la peine. Après tout, il n'y avait qu'une seule chose qui pouvait retenir son attention. Et ce n'était certainement pas le saturnien.
Qui ça ? se demanda-t-il sans finalement le dire. La voie de la provocation n'était pas toujours la sienne.
Agacé, il s'empressa de glisser ses mains dans ses poches. Cette manie l'irritait autant qu'elle l'amusait. L'amusement se cachait toujours dans le regard de ses interlocuteurs. Certains essayaient de dompter leur peur, d'autres leur surprise. Et puis, il y avait Increpito avec sa confiance. Jubilant.
Sombre idiot, songea-t-il.
Un rire discret suivit cette constatation. De ceux vivant et peut-être un brin moqueur.
Amusé, l'homme en noir riait ouvertement du garçon et de la folie qui accompagnait son geste. Doux et bon, il lui accorda même la vie comme l'homme de Dieu qu'il était. Le petit roux avait après tout réussi l'exploit de faire flancher, saigner une montagne. Mais surtout, c'était pour lui un doux rappel à la réalité : la prudence était de mise et Georges s'avérait être une erreur dans ses calculs qu'il s'apprêtait à effacer. Infime, elle avait fini par prendre de la place jusqu'à créer cette situation pour le moins grotesque.
Dès lors, Heaven vint caresser le haut du crâne du roux. Sa main était presque affectueuse, camouflée derrière un faux regard fraternel et une étrange rigidité. Fidèle à lui-même, sa douceur cachait en réalité des griffes acérées. Un avertissement. Heaven était souvent prompte à réaliser les vœux, bien qu'il s'assurait toujours de ne laisser derrière lui que regret et plus souvent, peine. C'était exactement là l'erreur du roux : adresser une requête, peu importe laquelle, à cette chose.
Car ; aux yeux de l'homme de Dieu ; ce n'était ni plus ni moins qu'une manière de tester l'amour du blond pour lui.
Qui gagnerait cette joute ? Increpito ou lui ? se demanda-t-il.
- Pour te rassurer, commença-t-il doucement. Évidemment, très cher.
La réaction du monstre est désarmante, elle l’agace au plus profond de lui-même. Elle fait trembler cette confiance sans faille qu’il observe tant qu’il peut frapper, tant qu’il peut cogner. Tant que ses poings peuvent atteindre leurs cibles dans une visée romanesque. Tant que ses gestes répétés peuvent teinter de rouge le corps des malheureux.
Heaven le prive d’une victoire évidente ; la jubilation redescend et durant une seconde uniquement, il contemple son œuvre inachevée. Increpito attend le coup qui ne vient pas ; il desserre son poing, le regard empli de haine pour celui qui brise ses fantasmes chevaleresques, pour cet homme qui l’empêche d’agir comme l’ami qu’il devrait être pour Georges.
La joute doit continuer. Il se doit de battre le prétendant, car alors seulement l’honneur sera sauvé. Il se doit de le battre ; pour cet ami qui mérite son dévouement et sa loyauté.
Seule la courtoisie l’importe désormais. Il regrette la disparition de cette notion médiévale en condamnant sa misogynie. Et quoi de plus naturel pour la réintégrer que de se concentrer sur la force de ses sentiments pour cet ami éternel ?
La joute doit continuer ; peu importe qu’il finisse mutilé, que la douleur soit telle qu’il se refuse à sortir du lit. Il aura sa victoire. Georges ne vaut-il pas tous les sacrifices ; de la paix contre ce monstre à la moralité relative jusqu’aux fragments de sa beauté hellène supposée ?
Mais Heaven lui refuse ce droit. Par le geste fraternel, le monstre pousse le vice à le rabaisser ; le contact de la main sur ses cheveux le brûle, il lui rappelle la crainte d’une époque révolue.
Increpito se recule avec force. Il est de ceux qui disent pouvoir tout encaisser, des coups au mépris de son prochain. La vérité est empreinte de pathétisme : il tremble devant l’affection de ses pairs, meurt face à celle des adultes. Rares sont ceux avec qui il s’autorise un semblant de tendresse.
▬ Arrête de te foutre de moi, pour commencer ? Il ne subsiste chez Increpito qu’une colère sourde, colère irraisonnée.
Le garçon est prêt à accepter les jeux les plus dangereux pourvu qu’il puisse faire disparaître à jamais l’air victorieux du visage de l’ennemi. Pour Georges, il passerait un pacte avec le Diable lui-même, mais persuadé de l’avoir en face de lui, il se contente de lui cracher sa haine.
▬ Je ne plaisante pas, Heaven. Si j’entends encore une fois parler de ta personne, je te casse les genoux. Il affiche alors un sourire satisfait à l’idée de blesser le jardinier. Tu feras moins le fier quand tu ne pourras plus te balader dans ton jardin pitoyable.
La menace est risible ; mauvais cliché sorti tout droit d’une ruelle de sa banlieue. Elle lui rappelle pourquoi il préfère frapper au lieu de parler, pourquoi il a si longtemps mis de côté l’éloquence pour se concentrer sur la simple violence. Alors Increpito s’avance. Il vient pousser Heaven contre cette table, il vient bousculer le monstre dans une tentative inespérée de reprendre le dessus sur une situation perdue d’avance. Increpito reste fort ; il en va de l’honneur de Georges.
▬ Alors tu le laisses. Tu lui parles plus, tu ne le regardes plus. Tu fais comme s’il n’existe plus. Georges le tuera sûrement ; il est prêt à assumer la plus grande des fureurs dans cette recherche esthétique d’une amitié chevaleresque.
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devil inside meLe sourire se dessina de lui-même. Jubilant. Exultant.
L'enfant se recula. Il cria, gifla l'air, s'agita. Face à lui, Heaven constata. D'abord, ce fut la frustration puis, le manque d'amour et enfin, la bêtise.
Sa main se fit arrogante lorsqu'elle le poussa plus bas. Heaven écouta, comme il savait si bien le faire. Il laissa l'enfant terminer sa scène. Calmement, seulement en apparence. Son coup l'avait blessé mais n'avait fait qu'effleurer son ego ; c'était ce regard plutôt, cette façon de se croire supérieur à lui qui avait la différence. L'ordre des choses avait été chamboulé par ce simple, naïf et innocent regard.
- Ne parle pas autant, souffla-t-il exaspéré et délicatement.
Il n'y avait plus de sourire. Seule demeurait cette main. Cette main dont les doigts servaient de cage pour le cou du roux. Caché derrière ses vêtements noirs, on ne voyait que rarement ses bras ou les cicatrices qui l'accompagnent. Le garçon devait à présent s'en apercevoir : il n'avait pas toujours été un jardinier.
- J'ai accepté de réaliser ton vœu. Je ne suis pas un génie pour autant, tu n'en auras qu'un.
Lentement, sa main se détacha de son cou ; elle ne le libérait pas pour autant de son emprise et vint rejoindre le front du garçon, relevant sa chevelure en arrière et révélant son visage. Heaven observa. Son regard était particulier ; il avait l'impression de revoir bon nombre de ses anciens amis. Ce n'était pas une expérience pour le moins agréable. Pour autant, ce n'était pas la première fois qu'il avait eu cette impression, aussi, il ne s'en accommoda pas.
D'un geste, il glissa sa main jusqu'à ses yeux. Il en avait eu assez. Pourtant, il était persuadé que Increpito ne le quitterait pas. À moins qu'il s'en prenne à lui, comme il venait de le faire. Il décida alors et au moins de fermer son regard.
Subtil avait été ses paroles. Il s'agissait simplement de lui rappeler les règles de son jeu : les coups étaient regrettables mais n'agaçaient pas suffisamment. Il était évident que les règles de son jeu s'appliquaient à tous, bien que ce n'était pas une chose évidente pour tous.
Son sourire comme symbole du danger, Heaven matérialise à lui seul les causes de la détresse de l’humanité, la notion d’imprudence et ou la lente perdition de l’opposant au cœur sincère, il semble personnifier toutes les menaces du monde, sans avoir besoin de parler, il lui suffit juste d’exister. Et Increpito pourrait avoir peur ; il pourrait mais il rejette ce déshonneur dans les tréfonds de son être, véritable chevalier qui ne craint pas la mort, il ignore l’instinct de survie pour sourire à son tour. D’un sourire un peu fou. D’un sourire qui épouse la violence à venir.
Heaven lui offre ce qu’il est venu chercher, un affrontement irréel pour une cause fantaisiste ; et cette cause, il y croit de toute son âme, convaincu d’agir pour un code d’honneur, il transforme bêtise et obsession en un noble prétexte. Increpito vit ce besoin de violence comme une drogue.
Le corps est tendu, il attend le coup à venir, ce moment presque sacré où le démon portera la main sur son corps. Question en suspens ; quel plaisir retire-t-il de ces joutes coléreuses, de ces doigts qui referment leur étreinte sur son cou. Increpito ne peut le lâcher des yeux, il attend la sentence ; excitation malsaine qui gronde en lui face à cette poigne dont il ne peut se défaire, dont il ne veut se défaire. Quel plaisir retire-t-il réellement de ce geste ? Presque étranglé, ne devrait-il pas avoir honte de prendre son pied ? Il aime cette sensation de danger, cet instant où tout peut vaciller, et il se délecte de se sentir à la merci du monstre ; la chute d’adversaire n’en sera que plus grande.
Commencent alors les choses intéressantes ; ce doux instant qui précède la bagarre, ultime moment où chacun pense encore avoir une chance de remporter sur l’autre. L’intensité de son regard l’affirme ; il ne vit pleinement que dans l’affrontement.
▬ Je ne suis là que pour Georges, pour que tu le laisses tranquille. Pour son honneur, son intégrité, pour cette passion qu’il porte à son ami, pour ce blond stupide qui le haïra pour son initiative.
Il n’est là que pour Georges ; réponse sincère à une menace à peine déguisée. Le vœu est confirmé, il n’existe plus d’échappatoire aux représailles du jardinier. Peu importe qu’il finisse en sang, qu’une fois encore ses amis doivent panser ces blessures dont les cicatrices se mêleront aux précédentes, il assumera jusqu’au bout ce choix déraisonnable, il ne suppliera pas le monstre d’arrêter ses coups ; au contraire, debout jusqu’à la dernière seconde, il compte bien sortir victorieux de cette rixe disproportionnée. Parce que Heaven doit sortir de la vie de Georges. Parce que l’ami mérite le bonheur.
Les yeux désormais fermés, il perd pied. Il s’abandonne pleinement à sa colère pour lutter contre ce terrible sentiment d’infantilisation qui résulte de son contact avec Heaven. Increpito ne réfléchit plus ; et le poing fermé vient cogner violemment dans le ventre du monstre. Approximatif mais brutal, un résumé parfait de la violence d’un gamin qui se prend pour un chevalier ; approximatif mais féroce, comme il a appris gamin. Il serre le poing, s’apprête à recommencer. Il faut que l’autre le lâche, il faut qu’il le fasse tomber, et qu’une fois à terre il le noie sous un torrent de coups, qu’il l’empêche de se relever pour l’achever. Il le doit à Georges. Et peut-être à lui-même.
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devil inside meLa colère. La sienne, celle de l'enfant, était chaude, brûlante et tremblante ; lui était ennuyé. L'ennui est dangereux ; il perd la notion du jeu. Et ce fut à cause de ce coup, cette folie. Le gamin provoqua, chercha la confrontation. Qu'importait, lui, n'offrait jamais ce que les autres attendaient de lui. Il aimait ce pouvoir. À l'instar d'un génie, il s'amusait des vœux et s'assurait d'en faire des regrets.
La main libre rejoignait le premier poignet puis vint se refermer aussitôt sur le second. Il calmait la bête, l'enfant qui n'avait rien. Il paraissait protéger son âme comme il en avait été incapable avec la sienne. Finalement, ses actions étaient toujours floues, dictées par quelque chose d'incompréhensible.
- Ian, dit-il d'un ton doux, si doux. Sa main se resserrait pourtant peu à peu.
La première main lui offrit la vue. C'était une vision étrange, préoccupante. Ses sourcils étaient froncés et sa mâchoire crispée ; il semblait en proie à un conflit intérieur. La frustration l'avait gagné et lentement, il perdait de ses belles couleurs.
Increpito était agaçant. Sa violence était ennuyante, mais plus encore, son besoin de souffrir. Ressentir la douleur.
- Ne pollue pas ta bouche de mensonges, continua-t-il. Il attrapa la bouche du garçon et la tira comme s'il cherchait à la nettoyer.
Une petite gifle suivit ses paroles. Gentille, mignonne ; elle n'avait pas sa place dans le corps du jardinier. Sa sœur la rejoint. Demi-soeur. Plus violente, moins douce. Elle laissait déjà une marque derrière elle, peut-être en raison de ses bagues en argent. Enfin, l'homme souffla, visiblement soulagé.
- Maintenant, va t'asseoir là-bas, grogna-t-il. Tu fermes ta bouche, tu ne bouges pas et tu attends.
Les yeux du jardinier n'étaient plus aussi gais. L'homme semblait au bord de la rupture si enfin il ne l'avait pas déjà franchi. Il était clair qu'il avait quelque chose en tête. Il avait, quelque part, donné l'impression d'avoir offert un dernier souhait au garçon. À présent, il exigeait réparation. Autrement, il ferait comme on lui avait appris.
Ian ; doux est le prénom dans la bouche du démon ; la syllabe est violente, véritable détonation. Il tremblerait presque, Increpito. Quand s’est-il mis à le fixer avec fascination ; à comprendre les raisons qui poussent à l’obsession ?
Ian ; douloureux rappel de l’être qui précède sa création, enfant violent, enfant délinquant, enfant qu’il tente d’oublier, les blessures passées dissimulées sous les cicatrices nouvelles ; Ian donne du sens à son combat perpétuel, il se lève pour l’affronter, pour ne jamais lui ressembler. Ian ; le prénom le heurte, le prénom le choque, il y a bien longtemps qu’il se perd dans ses surnoms, qu’il oublie de répondre à cette dénomination.
Il n’y a pas d’explosion, pas de crises d’angoisse, pas de cris, pas de pleurs, pas de coups. Ses traumatismes restent à leur place : cachés, enfouis ; sont-ils seulement capables de s’exprimer, de s’exposer ? Il accepte rejet et regret, cohabite avec cette colère bruyante, et violente.
Ian ; il entend le prénom et reste sans voix. Le monstre le touche, le monstre le frappe. Increpito retient la plainte factice, il se délecte de cette douleur passagère, de la force qu’exerce l’ennemi sur ce corps étonnamment docile.
Il meurt d’envie de répondre aux coups, répondre à la douleur par sa soeur, répondre à chaque blessure par une griffure, marquer à jamais ce corps arrogant pour prouver qu’il a lutté, pour prouver qu’à défaut d’avoir gagné, il a essayé.
L’infantilisation est une forme de déchéance. Immobile, lui jure-t-il allégeance ?
Heaven est un mystère ; énigme incertaine qui inspire à la prudence. Dans cette confrontation, Increpito paie son arrogance ; longtemps, il a cru que cet homme n’était rien, individu quelconque destiné à rester vain. Stupidité ; comment Georges aurait-il pu s’enticher de la banalité ?
Heaven est un mystère ; modèle de puissance et de violence. Tempête contre laquelle l’humain se heurte avec démence ; il oscille désormais entre haine viscérale et admiration immorale.
▬ Non. Il murmure à peine, lui l’enfant bruyant, lui l’enfant violent ; joute funèbre, l’indocile rencontre le maître et se perd à jamais. Tu n’es pas en droit de me punir.
Pourtant, il s’exécute ; assis à l’endroit désigné, il fixe le démon, et dans ses yeux ne subsiste qu’admiration. Sa joue le brûle. Il s’effondre en silence, seul avec sa démence ; seul dans ce jardin ; seul en compagnie du malin.
▬ Et maintenant ?
L’attente commande son être, il en tremblerait presque. Il devrait partir, rejoindre ses amis et cette illusion d’équilibre. Il préfère rester, plonger dans le malsain à s’y noyer. Honteux ; il a besoin de savoir comment cela va finir.
funny. how he used to hold his anger inside of him. quietly.
devil inside meÇa débuta par un soupir. Court, lent. Soulagé.
Sa curiosité avait été éveillée. C'était agaçant. Pour tout dire, l'homme en noir ne s'attendait pas à ce que le garçon écoute ses ordres. C'était un drôle de sentiment. Celui d'imaginer ne pas avoir le contrôle.
Heaven observa Increpito. Ses cheveux roux. Ses yeux bleus. Ses marques, ses cicatrices. Il songea à sa colère, celle du garçon. Peut-être avec un brin d'arrogance, il en avait conscience. Il se fit la réflexion qu'elle était vulgaire et indomptable, de celle qui salit la beauté de cette émotion.
C'était son jugement. Sa conclusion.
- Rien, glissa-t-il finalement.
Le jardinier retournait à ses affaires. Son pot de fleurs. Mort, piétiné par des enfants trop occupés.
Pourtant, c'était bien la première fois qu'il en avait des choses à dire. Il voulait s'attarder. Souffler ses jugements aux allures de conseil. Mais, rien ne lui vint. Rien.
Il se surprit alors à soulever sa morale, la retourner pour en comprendre le sens. Prisme s'amusait à lui envoyer ses soldats tous les jours. Lui, il avait toujours pensé pouvoir s'en débarrasser facilement. Mais même pour lui, ça ne serait jamais vraiment le cas.
- Reviens une prochaine fois, j'aurai peut-être quelque chose pour toi.
Oppressante confusion ; les pensées flous se succèdent sans jamais se figer, il peine à les discerner tant son cerveau est embrumé. Son unique certitude réside en cette honte suffocante, cette honte paralysante, presque étourdissante ; cette honte de ne pas résister, presque d’exister.
Ne trahit-il pas l’ami en ne détruisant pas son amour ? La douloureuse impression d’abandonner Georges à un avenir incertain le taraude ; il perçoit encore ce futur abstrait où il oublie Heaven, où il délaisse le malsain pour rayonner à leurs côtés ; à lui, à la bande, loin du danger exacerbé.
Ne trahit-il pas l’ami en ne détruisant pas l’ennemi, en attendant son heure avec une patience nouvelle, ou peut-être ancienne, dernier vestige d’une enfance chaotique. Il respire avec difficulté ; le regard fixé ne discerne plus les limites de l’humain, il n’y voit désormais que le divin ; un heureux destin serait de mourir de sa main.
Silence et distance. Increpito constate avec impuissance la banalité de son existence ; la simplicité de punition réside dans la privation ; il se meurt du besoin de ressentir quelques douleurs. Et rien n’arrive, annonce l’être abhorré ; rien n’arrive, seules persistent ses peurs et sa colère, son envie irraisonnée de lutter de pour l’honneur de Georges, sa funeste obsession pour la courtoisie.
▬ Je reviendrai. Phrase lâchée trop vite, l’urgence cogne, l’urgence résonne ; à peine parti qu’il sent le besoin de revenir, le besoin de confronter ou de frapper ; peut-être même le besoin d’écouter.
La défaite reste humiliante ; et conter la mésaventure à la bande l’obligerait à faire état de son caprice ; expliquer que dans un moment de lucidité qui lui est propre, il s’obsède à défendre platoniquement l’honneur de l’ami. Que faire maintenant qu’il a perdu ; la question tourne en boucle, elle reste sans réponse ; peut-être après un verre ou deux mentionnera-t-il ses espoirs de conquête et l’immensité de son échec.
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