La fin des cours avait sonné avec un certain soulagement. Il fallait dire qu'en tant que prof de sport, il n'avait pas la chance, comme la plupart de ses collègues, de finir vers la fin de la matinée. De ne rien glander pendant tout son après-midi. Il s'était une fois imaginé ce précaire rêve avant d'être dérangé dans son délire mental par un quelconque élève venant squatter dans le gymnase avec une demande. Ou bien se rendre un cours de spécialité.

Ce jour-ci, c'était celui de l'athlétisme. Il avait été physique, c'était pas comme si Eden se sentait un peu vieillir, à suivre ces petits jeunes qui avaient de l'or en barre à la place à la place des jambes. Eden avait fini par dire à l'animal de mer « ouais, c'est bon, continue comme ça, petites foulées, tu me fais un cent mètres après l'échauffement. » avant de se mettre dans un coin, buvant l'intégralité d'une bouteille d'eau et suant au moins deux litres de sueur.

Fallait pas dire, mais au moins, Eden, malgré la consommation d'alcool et de quelques autres produits illicites, gardait la forme. De jours en jours, il sentait cependant qu'il l'était moins qu'hier, mais ça devait être le fardeau de tout le monde. Debout – il n'était tout de même pas grabataire au point de s'assoir, Eden avait continué de noter Orque, puis, une fois la fin du cours venant, avait réuni ses affaires et rentrait chez lui.

Il faisait un temps pourri, de l'orphelinat à la ville de Cambridge, ce qui faisait qu'on n'y voyait pas à cinq mètres à cause de la pluie s'abattant sur le pare-brise. Edgar jura, ralentissant un maximum, pestant contre « ce temps de merde qu'il n'avait pas à Moscou ». Il finit par arriver à bon port, complètement saucé par l'ondée, se réfugiant dans son petit chez lui, triste et un peu humide.

Eden soupira.

Il n'avait pas vraiment envie de rester ici, c'était triste à mourir, autant se faire plaisir ailleurs. Il envoya un texto à ses deux acolytes de Prisme, en espérant que ceux-ci seraient rentré – ça devrait être bon pour Dorémi, mais il espérait que Clown ne soit pas de garde ou une connerie du genre qui le pousserait à veiller sur la santé de ces petites teignes au lieu de boire. Encore qu'avec sa propre gamine, Mercury ne l'emmerdait sans doute pas trop.

« Et bien ! »

Edgar s'étira, de gauche à droite, puis de droite à gauche, s'arma d'un solide parapluie qui était de si bonne qualité qu'il avait survécu à plusieurs de ces tempêtes, puis sortit.

Le bar n'était pas bien loin, c'était leur point de repère à tous les trois. Quelques mètres en voiture plus loin et il s'était garé à côté de cet endroit qui ne payait pas de mine mais dont l'intérieur était vraiment sympathique. Il y avait du rock des années 80, quelques signatures de diverses stars de la musique qui étaient passées par là (Eden se demandait tout de même si celui de John Lennon était un vrai, car il manquait un « n », ça semblait juste être une blague d'un petit malin).

Les cheveux trempés, le corps tout autant, il entra avec un « Hi » tranchant d'un accent russe un peu improbable. Il s'installa autour de leur table.

« Quel temps pourri. »

Dit-il pour rester poli. Il n'aimait pas la pluie, le Dorémi. Trop froide, trop humide. Cela le décoiffait dès qu'il passait un peu trop de temps dessous par mégarde. Son collègue Eden l'avait cependant bien prévenu : amener un parapluie pour la soirée. Alors c'est ce qu'il fit. Heureusement il avait tout prévu et était armé. C'était parfois agréable, la pluie. Il n'aimait pas ça mais le son avait quelque chose de tranquillisant, il était vrai. Ce genre de temps était toutefois parfait pour les soirées entre potes et c'est justement là où le rouquin se rend. Le prof de sport et le médecin doivent l'attendre au bar où ils se sont donnés rendez-vous. Dodo est du genre ponctuel, mais ça n'empêche pas ses camarades d'arriver plus tôt. Bravant donc la météo, le musicien se dirigea vers le bar en traversant les rues. C'est une certaine satisfaction de savoir que les élèves de l'orphelinat n'ont pas le droit de sortir quand bon leur semble, contrairement à leurs professeurs. L'Italien est plutôt content de cette permission qui doivent rendre jaloux quelques jeunes dont ils s'occupent. Ces pauvres petits chérubins sont coincés à  l'école pour le moment... Alors il compte en profiter un max, comme toujours. Arrivé sur les lieux, Dorémi rejoint une silhouette à leur table.

« Juste à temps. Plus que le clown de service. »

Je le laisse me reconnaître après que j'ai élevé la voix pour qu'il sache que c'est bien moi.

« Alors, tu les as bien fait courir ? Au moins ils peuvent dépenser un peu d'énergie pour ta matière ; ils sont moins bavards après. »

J'ai toujours su m'adapter aux horaires, personnellement, alors que ça soit tôt ou non... Mais je sais qu'ils sont souvent exténués et très agités quand ils sortent du cours de sport.

On était pas mieux, surtout par cette journée de pluie, qu'avec sa bande de potes. Limitée à trois pour l'occasion, juste ses potes avec qui il se faisait un plaisir de boire et jouer aux fléchettes jusqu'à la fin de la nuit.

Luca était la terreur des gosses, un prof' cynique, mais sympa comme il les aimait, Clément le meilleur des infirmiers. En y pensant, il faudrait qu'il pense à inviter la petite Nurse au restaurant un de ces jours, ou du moins à prendre une boisson chaude avec lui, il avait envie de faire un peu plus sa connaissance (il la croisait à chaque fois qu'il se tirait de l'infirmerie après une sieste providentielle, alors il se doutait qu'elle était assez sympa), il espérait toutefois pouvoir le faire en évitant une des (légendaires) crise de jalousie de cette chère Fever.

En parlant de cette dernière (il ne croyait pas l'avoir appelé un jour par son prénom, lui avait-il au moins demandé?), elle n'était pas présente. Il fallait dire que les relations entre Eden et Fever n'avaient jamais été au beau fixe et qu'il n'était pas rare qu'ils passent des heures à s'engueuler ici, dans ce pub, avant de se rabibocher, les joues légèrement rosies par l'alcool qui coulait dans leurs veines.

Luca fut le premier à le rejoindre, trempé comme un chien mouillé. Il esquissa un sourire en le voyant débarquer, manquant de faire une blague sur les pingouins, mais trop tôt dans la soirée.

« 'Lut ! », il leva une main et commanda trois whiskys au patron, ne laissant pas le choix à ses copains (et de toute façon, s'ils n'en voulaient pas, il les boirait d'affilée, ces trois whiskys). « Ouais grave. Tu les aurais vu, à la fin, faisaient pas les fiers. Y'en avait même qui rampaient sur le sol. »

Il eut un petit rire, mais bon, ça, c'était une totalement invention. « J'blague. En revanche, plus j'les ai en cours, plus les p'tits Sun et Thorn me sortent par les orbites. Enfin. On est pas là pour parler de ça, où sont les boiss- »

Mais déjà, le meilleur, le magnifique Clown arriva. La pluie n'avait pas l'air de s'être arrêtée brusquement car son imper était trempé. Eden se leva pour aller lui donner l'accolade, quitte à se mouiller un peu, puis rit.

« Non mais tu penses que je t'ai attendu pour commander ? 3 whisky, si vous en voulez pas, je boirais l'excédent. », il retourna pour s'asseoir, regrettant sans doute un peu, malgré leur dispute récente, que Fever ne soit pas là. Tapota légèrement avec le bout de ses doigts la table, nerveux et angoissé, signe évident d'un manque de sommeil – et fallait dire qu'il ne s'était pas posé à l'infirmerie tout à l'heure.

L'alcool, ça aidait.

Parfois.

Il rentrait tellement assommé qu'il chutait dans son lit comme s'il n'y avait qu'une descente à faire.

Jusqu'au réveil.

Comme si de rien n'était, il sourit à ses potes. Les verres ne tardèrent pas à arriver et déjà, Eden leva le sien pour trinquer avec ses potes. Il commandait toujours du whisky, il n'aimait pas trop la vodka, cela ne lui rappelait que trop le pays.

« Bon, les gars, à la vôtre ! »

Première gorgée d'alcool, le carburant le reboosta.

« Alors, votre journée ? T'as toujours pas assommé un élève, Luca, haha ? »

Un sourire sincère apparaît sur le visage du musicien en apercevant le médecin débarquer à son tour. C'est assez rare que Dorémi ne fasse pas la tronche ou une tête d'abruti pour le noter quand ça arrive. Mais en présence de bons copains, il se laisse plus facilement aller, malgré ce qu'il peut penser de lui. Il n'a pas ce rôle de professeur ou d'exemple auprès des enfants. Hé oui il dit 'enfant' même si la plupart sont des ados. À ses yeux, cela reste des gamins, après tout. Il trinque avec ses camarades avant de boire une gorgée de ce fameux whisky. Alcool fort, mais il adore ça, le Dodo. Et il sent qu'ils vont beaucoup boire, ce soir.

« HAHA ! Tu penses ! C'est pas l'envie qui m'en manque. Mais ils peuvent pas me rendre de devoirs, si je les assomme. »

Et ce serait vraiment dommage de se priver de voir toutes les perles qu'il a déjà remarqué dans certaines copies. Il y en a où il est sûr que l'élève a fait exprès, d'ailleurs. Quelques fois, ils glissent des clins d'œil pour voir si le professeur le soulèvera. Bien sûr que ce dernier les note toujours, mais il n'est pas là pour faire ami-ami avec ces écoliers. Leur transmettre l'amour de la musique, c'est ça le plus important !
Un soupir satisfait lui échappe. Il aime parfois le calme de quelques touches de piano brisant les silences nocturnes mais il est bien content de pouvoir décompresser comme ça aussi. Cela change du réfectoire, pour sûr.

« Aaaah... Et pourtant ce que ça serait bien, un peu de calme. En plus quand le cours est avant déjeuner ils sont intenables et quand c'est avec ça que la journée se termine ils s'endorment tous sur la table. »

Dur dur d'intéresser des gamins qui viennent de grailler lorsque ton cours porte en plus sur les études tranquilles de Chopin. Il les accueillera avec du ACDC la prochaine fois qu'il en verra un.e bâiller.

« Et puis... Si j'y vais trop fort, ils pourront pas aller te voir, ils seront tous chez le Clown, haha ! »

En vérité, bien sûr qu'il ne frapperait jamais un élève de sa vie. Il peut être tortionnaire mais jamais dans les coups physiques, ah ça non. En revanche, ce n'est pas dit qu'ils aient tous un mental d'acier pour le supporter, alors pas impossible que y'en ait quelques uns qui aillent rendre visite au psy de l'école, ou, pourquoi pas, au Clown concerné par la discussion. Après tout, Dorémi le sait aussi remonte-morale à ses heures perdues. Il a bien remarqué comme il s'occupait de la gamine à sa charge, et de son point de vue, il n'a personne à envier.