and like the moon we must go through phases of emptiness to feel full again
love- Oui… Parfait, siffla-t-il entre ses dents.
Heaven souriait. De ces sourires étranges, dont on ne connaît pas tout à fait le but. Son visage trahissait une certaine excitation. Comme si c'était exactement ce sentiment-là qu'il essayait d'attraper : la colère. Au loin, il apercevait une petite créature naviguer vers lui. Les autres ne prêteraient sûrement pas attention à lui : ce n'était après tout qu'un jardinier. Or, cette petite chose avait l'obsession des plus grands détectives. Il voulait trouver ce qui n'existait pas en s'attaquant ainsi à un ouvrier paysagiste sous prétexte d'une animosité infondée. C'était ennuyant au début mais il avait fini par y voir une distraction délicieuse en lui.
Un clin d'œil suivit aussitôt ses paroles. L'odeur de la raillerie se sentait déjà à des kilomètres. Depuis son plus jeune âge, Heaven avait su développer un goût prodigieux pour la provocation et il s'était révélé particulièrement doué dans cet art. Par exemple, ce vouvoiement était non seulement volontaire mais également loin d'être une marque de respect. Heaven était un maître de la langue mais il n'en demeurait pas moins foncièrement impoli. Il vouvoyait uniquement dans le but de se moquer, ce qu'il faisait d'ailleurs avec un naturel insolent. Ce petit insecte subissait, entre autres, les assauts de surnoms en tout genre mais exclusivement liés à sa taille particulière. Cette fois-ci, il avait visiblement opté pour le Seigneur des Anneaux.
- J'ose espérer que vous ayez apporté un présent à votre tendre serviteur.
Un sourire malicieux décorait désormais son visage. C'était un privilège qu'il n'offrait visiblement qu'à ses victimes et Eden était depuis longtemps la seule sur sa liste.
Il y avait des moments où, radieux et tout souriant, Eden était heureux de vivre.
Aller à la montagne et laisser une dizaine de gosses totalement en autarcie en faisait notamment partie, faire du ski et passer ses soirées au bar à plus ou moins draguer des jeunes françaises aussi. Dans la joie de l'alcool, les limites étaient souvent outrepassées, et il s'était réveillé plus d'une fois dans une situation un peu inconvenante.
Heureusement, les gosses savaient se débrouiller seul et il ne les avait réellement retrouvés – tous au complet – au moment de reprendre le train.
Leur séjour dans les Alpes avait ressemblé à une petite et fraîche bulle dans laquelle il avait été ravi de rentrer, un refuge idéal, lui permettant de décompresser et de vaquer à d'autres occupations que celles qu'il avait normalement, même s'il ne parlait pas un mot de français – et là-dessus encore, c'était pratique, habitués des touristes, les guides parlaient tous la langue de Shakespeare.
À leur retour en Angleterre, une averse impressionnante les accueillit, comme pour leur souhaiter la bienvenue. Eden, victime d'une bonne vieille gueule de bois, se contenta de grogner et accompagna les drôles dans le bus qui devait les conduire de la gare jusqu'à l'orphelinat, prenant soudainement conscience que ce séjour si cool était désormais fini.
Fini.
Achevé.
Sa tête était plombée, il marchait tel un zombie, les yeux un peu dans le vague, se tenant aux murs pour rester un tant soit peu debout.
L'épreuve était compliquée, si bien qu'il rêvait (enfin quand il arrivait à aligner deux pensées cohérentes l'une après l'autre) de son lit ou de s'enfiler des litres et des litres d'eau. Rarement il avait connu gueule de bois qui l'eut autant maltraité.
Curieusement, arrivé à l'orphelinat, la pluie s'était calmée et on pouvait même voir un arc-en-ciel au loin – quelques mômes, pas les plus ronchons – s'étaient agglutinés dans le fond du bus et poussaient des cris d'émerveillement.
Foutus gosses.
Aussi, dès qu'ils furent descendus du bus et eurent déchargé leurs affaires, Edgar prit les siennes et s'écarta un peu de la plèbe, tentant de trouver un peu de vent, de s'écarter un peu des enfants et de leurs cris de joie tandis qu'ils se défoulaient sur la pelouse comme si on les avait privé d'exercice pendant des jours.
Maudits soient les mars et leur énergie surnaturelle.
Ce fut alors qu'il était en train de grogner que le vent tourna. Alors qu'il n'était pas si mécontent de revenir à l'orphelinat, parce qu'au moins, il y avait ses repères, qu'il y avait Fever et une bonne grosse bouteille d'eau, sa mère et la civilisation.
Alors qu'il se disait que sa mutation était presque une bonne idée, il croisa Heaven.
L'air et l'ambiance changea, son petit corps en action s'arrêta brusquement, comme happé par cette aura mortifère.
C'était comme s'il absorbait toute la vie en toi, comme si cette maudite sangsue te prenait, t'acculait contre un mur et faisait ressortir tout ce qu'il y avait de mauvais en toi.
Et Clown qui disait qu'il avait besoin de consulter un psychologue, Fever qui ne le croyait pas et qui lui disait qu'il avait besoin de dormir plus. C'était un fait, mais ça ne réglait pas tout. Il était bien réel, non ? Il ne l'avait pas inventé, il était juste devant lui, à le narguer. Il l'avait entendu et ses paroles résonnaient à ses oreilles comme des mots de funeste augure.
Et pourtant, à cet instant, ce petit être qui faisait de la boxe, du combat de rue, qui en avait bien tronché de plus grand que lui se trouva fort dépourvu. Ce devait sans doute être lié au fait qu'il ne s'attendait pas à trouver Heaven ici, que sa semaine de vacances l'avait bien trop fait fermer les yeux, qu'il avait oublié le danger.
Danger.
Chacun de ses muscles le lui soufflait, danger. Le mot était là, comme une puissante impulsion qu'il n'avait pas souvent ressentie à part avec des chefs mafieux. Eden avait pourtant un instinct exceptionnel, il ne se trompait rarement, et les paroles que ce type lui avait adressé ressemblait à une amorce provocatrice dans le but que la proie ne soit que plus facile à capturer.
Edgar serra des dents au point de s'en faire mal.
S'il ne le regardait pas en face, il finirait bien par partir, non ? S'il l'ignorait aussi ?
Déjà, il fallait se dégager de ce mutisme, libérer chacun de ses muscles, courageusement, un par un. Et partir. S'enfermer à double tour dans les chiottes.
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loveHeaven ria.
Ce qu'il aimait le silence ! Et à sa juste valeur. Qu'il soit cruel, apaisant et doux ou vide. Heaven appréciait tant le silence en raison du bien-être qu'il ressentait en sa présence. C'était peut-être risible mais il avait réellement fini par préférer se retrouver avec sa propre personne qu'avec n'importe qui d'autre. Or, il est vrai que quelques fois il trouvait le besoin de se stimuler. Comme pour vérifier qu'il était toujours en vie, toujours un Homme. En présence d'Eden, il était donc certainement plus vivant que jamais.
- Ah. Non, chuchota-t-il pour lui-même. C'est plutôt Grumpy, aujourd'hui.
Le sourire sur les lèvres, le jardinier se précipita à la suite du professeur. Il laissa derrière lui ses outils et ne prit même pas le temps d'ôter ses gants sales de terre. C'était comme s'il avait croisé un ami de longue date, comme s'il appréciait réellement Eden. C'était un étrange comportement à l'image du personnage qu'il incarnait. Toutefois, il semblerait que la réalité ne fût pas si élégante que cela. Le professeur de sport s'avérait être un homme très, très curieux, ce qui dérangeait naturellement Heaven et sa discrétion. D'autre part, Heaven ne réservait pas le même traitement à ses véritables amis de longue date. Ou à qui que ce soit d'autre, d'ailleurs. Il n'était après tout plus un homme d'expression ou de paroles depuis de cela trop longtemps.
- Ne me dites pas que je vous effraie, très cher, susurra-t-il à son oreille, son bras accroché à ses épaules. Un grand monsieur comme vous ?
La joue d'Eden fut aussitôt violée par un rapide baiser. Car il n'y avait après tout rien de mieux que les actes pour exprimer son amour pour quelqu'un. Or, cet amour n'était pas partagé. Et alors comme un enfant, Heaven s'enfuit aussitôt. Bien conscient du danger que pouvait représenter ce bonhomme. Bien conscient qu'une de ses droites pourrait l'assommer.
Et pourtant, il riait ci et là. Si Heaven agissait ainsi, c'était certainement parce qu'il ne saisissait pas tout à fait pour quelles raisons Eden était tant obsédé par lui. C'était telle que quelques fois, il avait l'impression qu'il le connaissait. Il peinait à comprendre, deviner l'origine de cette animosité envers lui. Toujours était-il qu'il ne pouvait que lui reconnaître un très bon odorat ou instinct.
- Je me demandais, commença, le sourire effacé. D'où tenez-vous cette obsession ?
Pour moi, songea-t-il sans ressentir le besoin de l'exprimer.
Quand il croisait Heaven, il y avait ce poids qui commençait à se former dans son cœurs, comme un clou qui empêchait chacun de ses muscles de boucher, qui lui criait de faire attention.
Au cours de sa vie, Edgar avait déjà été dirigé par son instinct, un instinct si puissant qu'il l'avait déjà sauvé plusieurs fois.
La première, c'était lorsqu'il était tout gamin, son premier meurtre. Il tremblait tellement que le flingue avait failli lui sauter des mains, il n'avait pas vu que le type avait sorti une arme et s'apprêtait à lui sauter dessus. Edgar ne savait pas ce qu'il lui avait pris, mais il s'était resaisi et avait tiré. Une seconde plus tard, l'homme était mort et il avait du sang inconnu sur les mains.
La deuxième, c'était pendant un combat tout simple, pendant un temps qui lui avait semblé se démultiplier, il avait eu le temps de se reculer suffisamment loin pour éviter un coup qui lui aurait éclaté la mâchoire.
La troisième, c'était lorsqu'il avait rencontré Heaven. Il avait croisé des tueurs par le passé, en arrivant ici, il aurait pensé trouver des collègues en or, des soirées où la bière coulerait à fond le soir et une entente excellente avec l'équipe pédagogique. Oh, il s'entendait bien avec Dorémi et Clown, il était donc sur un petit nuage...jusqu'à ce qu'il tombe sur Heaven. Ni une ni deux, son sang s'était glacé, les pulsations de son cœur s'étaient accélérées.
Eden se mordit la langue juste après avoir senti la simple pression de ces lèvres tant haïes sur sa joue, le goût du fer entra en contact avec ses papilles, assez pour le faire réagir, pour que son poing s'élance et ne vienne frapper...le vide.
Furieux, l'ancien mafieux s'essuya la joue, elle était pleine de salissure ou de bave, il ne savait pas trop laquelle des deux, mais en tout cas, il ne pouvait pas rester avec une joue dans cet état. Rien que la présence de Heaven en face de lui le mettait dans tous ses états, c'était dire.
Il avait :
Envie de fuir loin, de courir jusqu'à ce que ses jambes crient.
Envie de crier de tout son être. Protéger. Protéger les enfants, et puis ses amis.
« Je vais prévenir Mercury, ça suffit. », grogna-t-il comme dernier avertissement, parce qu'il n'avait pas non plus envie d'en venir aux mains en plein parc et qu'il se doutait que, quelque part à travers les grandes fenêtres, il devait bien y avoir de petits yeux qui les observaient. Eden avait tout sauf envie que les enfants aient peur de lui, pensent qu'il attaquait injustement Heaven.
« Je sais que tu me cherches, que tu n'attends que ma réponse à tes provocations pour me frapper en retour. Tu es là et je te vois, tu es un vautour. Je ne sais pas ce que tu veux, mais tu es là, tu me provoques. Je sais que tu mouilles mes godasses ou mes affaires au gymnase. Que tu laisses les fenêtres ouvertes. Tu es là comme un spectre, pour nuire à moi...ou à l'orphelinat ? »
La figure blanche, la tête légèrement penchée comme s'il était résolu à mener ce combat, Eden commença à marcher presque tranquillement vers Heaven.
C'était une vision presque étrange, que de voir David prêt à affronter Goliath. La tension était à son comble, on aurait presque pu voir une veine apparaître sur le front du plus petit.
« T'es qui, en vrai, Heaven ? Ou quoi, plutôt ? », ses pieds glissaient sur la pelouse, ses doigts se serraient en prévision de l'affrontement.
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love- Je vais prévenir Mercury, ça suffit, commença Eden.
Il n'y avait plus, pas de sourire. Rire. Couleur.
Il n'y avait aucune expression qui transparaissait sur son visage. Il n'était toutefois pas difficile de lire son état d'esprit : il suffisait d'une remarque de plus. Or, la colère avait déjà envahi l'atmosphère, salissant cette belle journée. Eden n'avait pas l'esprit aussi fin que Heaven et il ne se rendait certainement pas encore compte quelle créature il venait de menacer.
Eden finit par s'approcher de Heaven. Celui-ci l'attendit patiemment afin de lui offrir une certaine vision : il voulait lui donner l'impression de le dominer en tout point bien qu'il n'était pourtant qu'un simple jardinier. Taiseux par nature, Heaven n'accorda pas plus de mots à Eden. Il se doutait toutefois qu'il entretenait largement sa paranoïa en le provoquant maintes fois mais surtout, en agissant comme il le faisait en cet instant. Il n'avait tout à coup plus l'air aussi innocent comme il l'avait pourtant laissé entendre tant de fois.
C'était cette façon de le regarder. De regarder Eden. Heaven avait l'air de sonder son âme. De vouloir la briser. À travers son regard, on pouvait y lire mille et uns secrets. Effrayant. Doux. Lugubre. Du haut de son mètre infini, il lui faisait signifier leur différence.
Quelques secondes s'éternisèrent. Heaven prit le temps d'apprendre chaque partie du visage d'Eden. Il voulait s'assurer de sa santé mentale, regarder à quel point ses yeux pouvaient être fous. Rien d'autre ne pouvait expliquer son obsession maladive pour sa personne.
- Vous devriez faire attention à vous, suggéra-t-il dans un soupir. Avec une telle arrogance, vous risquerez d'attirer des ennuis à votre entourage.
Sa voix paraissait plus grave qu'ordinairement ; elle était par ailleurs plus lasse et fatiguée. Son regard ne faiblissait pas pour autant et renvoyait toujours des éclairs. À travers celui-ci, on lisait le reflet de sombres souvenirs réveillé par Eden. Il était agacé. Heaven semblait agacé plus que touché. Après tout, il y avait quelque chose d'agaçant dans les menaces. De vulgaire. Par là, il y ressentait une impression de déjà vu. Comme si on essayait de l'effrayer à travers une certaine domination morale. Or, de la bouche d'Eden, cela sonnait faux. Depuis le début, il était celui qui le tourmentait simplement par son existence. Il ne croyait pas qu'il pourrait changer ainsi les ordres établis.
D'un geste de la main, il congédia ainsi Eden comme s'il s'agissait d'une mouche agaçante. Dès lors, il vaqua à ses occupations et se retourna vers ses buissons et ses fleurs. C'était plus apaisant que d'essayer de déchiffrer le mystère que représentait Eden.
Quelle créature voudrait me défier, se demanda-t-il à lui-même.
Un serpent : et dès lors, il l'avait décidé : Heaven était un serpent.
Le goût du fer dans la bouche, Eden était repassé à une certaine forme d'activité. Sa tête arrivant avec peine au niveau du torse du géant, son souffle allant lui chatouiller le cou, il était tout à fait sérieux dans ses dires.
Il irait parler à Mercury, même si on le croirait fou. Il était étrange de penser que dès qu'il eut prononcé ce nom, l'atmosphère avait changée (ou peut-être était-ce un effet de son imagination?) L'homme s'était mis à le regarder comme s'il tentait de comprendre le moindre de ses points faibles, comme s'il tentait de le déchiffrer.
Puis, de sa voix grave et hypnotisante, le serpent du mythe originel avait susurré quelques menaces qui avaient de nouveau figé Eden sur place.
Un mortel pensant là aurait juste pensé que Heaven proférait juste un avertissement, même déplacé, vis à vis du comportement intrusif du professeur de sport. Qu'il le remettait presque poliment à sa place. Eden n'eut pas ce point de vue, du sien, la menace était claire, nette et précise : l'homme menaçait ses proches.
Tout d'un coup, il eut une pensée pour Fever, aussi insupportable soit-elle, pour Clown et Dorémi, dans les murs de cet institut. Et pour la petite Fairy, dont il avait découvert le secret un peu plus tôt dans le mois, et qui ne plairait sans doute pas à un homme comme Heaven.
La terreur remplit ses poumons.
Quelle impudence aurait de menacer ses proches, de proférer ces mots, de...Eden remit une mèche en place, derrière son oreille, puis sursauta.
Il s'était à nouveau noyé dans ses pensées, Heaven n'était plus à sa place. Comme si cette discussion n'était que le sujet d'un rêve, il était retourné à sa place, au milieu de la nature.
Ce n'était sûrement pas un rêve. Un rêve avait au moins les contours d'une beauté inadmissible. Un cauchemar aux allures tentaculaires, alors, au ton grave et aux allures de fantôme.
Edgar serra son poing.
Les Alpes l'avaient pourtant remis en forme, il était mieux. Si seulement ce jardinier n'existait pas ?! Il était petit, mais expérimenté et dans cet instant de fureur, il ne pensa plus qu'on pouvait les observer, ou bien qu'on pourrait l'accuser d'avoir frappé gratuitement un employé préposé au jardin.
Qu'il risquait le renvoi.
Non, son poing s'élança et frappa le plexus d'Heaven. C'était voulu, ça ne laisserait pas de trace, contrairement à un œil au beurre noir ou une morsure à l'oreille. Le coup, familier, fit trembler sa main, il sentit la violence pénétrer en lui avec force et habitude, comme rarement elle ne l'avait fait depuis son entrée au MI6.
« Excuse-toi, connard. », ses sens étaient à l'affût, mais il ne voyait plus rien du monde, des œillères de colère au bord des yeux.
and like the moon we must go through phases of emptiness to feel full again
loveUn instant. Un seul suffit. Et son souffle s'arrêta.
Or, Heaven était dur. C'était l'une des seules choses qui lui restait. Son mental était de fer et son corps de pierre. L'un parce qu'on avait pris minutieusement le temps de lui arracher sa joie. L'autre parce que c'était l'unique façon pour lui de ne pas s'effriter. La douleur était alors vive, présente mais comme toute, elle était supportable.
Surtout, ce que Eden ignorait, c'était son origine. Il le lui avait même demandé : qui était-il ? Avant d'être un jardinier, Heaven était un explorateur ou aventurier comme il préférait s'appeler. Il avait traversé des déserts de glace ou de sable, des forêts inhabitables et rencontré des créatures et des hommes inhospitaliers.
Et, au milieu, dans ce parc, il avait Eden. Eden qui croyait s'avoir à qui il s'adressait.
- Excuse-toi, connard, s'écria le petit être.
Et un soupir lui échappa. Celui qu'un père soufflerait.
Heaven, il était parfois si las que le simple fait de respirer lui coûtait. Face à son calme olympien, on n'aurait guère pu soupçonner toute la colère qui l'habitait en ce moment. Ni même comprendre qu'en d'autres circonstances et surtout en d'autres lieux, il aurait savouré ce moment. Il aurait enfin pu exprimer toute sa rage par le sang. Il aurait écrasé son outil contre son crâne avec joie, ce qui avait de plus pur. Il en aurait été difficile d'en comprendre le sens, l'origine.
- Vous n'êtes pas en mesure d'exiger quoi que ce soit de moi, Edgar.
Ajustant ses vêtements, il prit même le temps de se dépoussiérer. Comme s'il n'avait pas été ébranlé par son coup.
Rapide, simple et concis : Hevean ne faisait plus dans la dentelle. Ses attaques étaient sournoises et ne laissaient pas transparaître l'ombre d'une faiblesse. Il semblait souvent être bien des choses, mais jamais ce qu'il était réellement. Ici, il se présentait comme un homme qui n'avait plus rien à perdre et c'était dire !
À quel moment un nom est-il devenu une arme, se demanda-t-il justement.
Les paupières à demi-clos du jardinier trahissaient d'autant plus sa lassitude. Eden n'était pas au même niveau que celui-ci et il n'était pas difficile de le ressentir à travers l'attitude désintéressée de l'ouvrier. Chacun de ses gestes ou de ses paroles semblait anodin comme s'il maîtrisait son terrain à la perfection si bien que connaître le nom d'un professeur paraissait évident. C'était un étrange comportement pour un simple jardinier et la paranoïa du professeur devenait tout à coup presque compréhensible.
- En revanche, je risque de vous donner une raison de me haïr, finit-il par articuler lentement. Enfin, si vous ne me présentez pas des excuses immédiatement pour ce malencontreux, "accident". Je suis un homme de Dieu, miséricordieux, voyez-vous.
Heaven pointait du doigt le sportif avec l'un de ses outils. Il avait l'air de gronder un des enfants. Il ne semblait pas pour autant étonné de la réaction de son collègue. Avec le temps, il avait pris l'habitude de récolter la colère des autres. Ces autres finissaient toujours par agir de la même manière : ils courbaient l'échine face à lui. Heaven, pourtant dans ses bottes de jardinier, avait l'allure d'une de ces personnes qui dirigent le monde. Il en avait la classe, le talent et les capacités.
Accroupi, il avait toutefois l'air de regarder de haut Eden. Et comme attendu de lui, il s'affaira à ses affaires, ignorant ostensiblement l'homme qui venait tout juste de l'attaquer justement.
- Vous ne voudriez sûrement pas que je rende une petite visite à madame Cross, n'est-ce pas ? dit-il d'une voix plus basse.
Ce que Heaven aimait le théâtre ! Cela faisait de lui un bon joueur de poker.
Si tu as déjà vu une truite hors de l'eau, alors, tu sauras de quoi je parle. Il y a ce moment le pêcheur remontait son filet et où le pauvre poisson bougeait d'un côté à l'autre en sautillant, étouffé par sa rencontre avec tant d'oxygène.
Ceux qui n'avaient jamais tué l'ignoraient sûrement, mais causer la mort était à peu près pareil. La victime ne mourait jamais directement, et même si vous réussissiez à tirer in extremis pour vous protéger, que le revolver vous tombait à moitié des mains tellement il était chaud – la poudre qui les salissait, la tremblotte qui vous reprenait, l'horreur du moment.
L'horreur.
Ce cadavre qui se trémoussait, qui crachait du sang et tentait de prononcer quelques mots. « A l'aide », « Au secours », « je ne veux pas mourir ». Et vous le regardiez impuissant et paniqué, déjà de l'avoir visé et qu'il soit en train de mourir, et puis également impuissant de le laisser dans cet état.
Ils sont rares, les tueurs qui savent tuer d'un seul coup. Viser le milieu du front, éclater une des aortes du cœur. Alorsqu'Heaven était en train de le menacer – de menacer sa mère et que le professeur de sport s'était figé de nouveau, la conscience d'Edgar s'était de nouveau égarée en direction de sa seule victime du passé.
Vous aviez plusieurs fois toussé en tentant de prononcer un mot ou deux et à ce moment, il avait lâché le flingue et s'était précipité à vos côtés, sans savoir quoi faire.
Il avait eu les mains tâchées de votre sang en tentant de recouvrir le trou dans votre poitrine, il avait entendu vos dernières paroles, elles le entendaient désespéremment.
Anastasya.
Anastasya.
Rentra profondément dans sa tête, alors même qu'on l'attrapa pour le tirer hors de cette pièce, sans doute après que le pauvre homme eut rendu son dernier souffle.
Eden revint à la réalité et Heaven était toujours là. Il avait distinctement entendu sa menace et retenait le fait que sa mère n'était pas à l'abri de la mort, que Heaven se mêle à leur vie comme il se mêlait à la sienne.
Le désir de le faire taire, de le tuer devint intense chez lui, mais la conscience de se trouver sur le campus d'un orphelinat fréquenté par des enfants devint aussi très présent dans son esprit. Il n'était plus en Russie et vivait sans se préoccuper du lendemain. L'Angleterre avait de vertes pelouses et les visages des gosses se paraient de jolies couleurs, petits à petits renaissants après tous les traumatismes qu'ils avaient pu traverser.
Non. Eden ne devait pas entâcher ce petit bout de paradis et son ennemi juré (que dis-je, non, sa némésis) devait le savoir.
« Connard. », il se recula de deux pas, pour lui montrer qu'il l'écoutait, mais également pour l'empêcher de l'atteindre avec cet outil. Car la menace était également physique, non ?
« Je ne veux même pas savoir comment tu sais, tu sais, c'est tout. », sa voix sonnait rauque, c'était presque en contradiction avec sa taille, un si petit homme. « Je crois que nous n'avons plus rien à nous dire. Tu t'approches pas d'elle ou je te défonce. Ça viendra quand tu t'y attendras pas, ok ? »
Il tentait de se donner une allure noble, de prononcer des paroles de vainqueur, mais au fond, Edgar savait qu'il avait perdu. Lorsqu'il reculait pour laisser son adversaire partir tranquillement alors qu'il l'avait tant maltraité, lorsqu'il laissait sa propre mère menacée de la sorte, ça ressemblait à une défaite.
C'en était une.
Envers et contre tout, Edgar se rapprocha finalement pour lui murmurer quelques ultimes mots à l'oreille. Ou au niveau de l'épaule, ou au niveau de l'endroit le plus haut qu'il pouvait atteindre. La scène aurait paru quelque peu ridicule à un spectateur extérieur.
Probablement.
« J'ai déjà tué, je peux recommencer. Je te vois avec elle, je te vois tourner près de chez elle et sois sûr qu'on repêche ton putain de cadavre dans le Cam. »
Prompt, Eden se recula immédiatement, se força à sourire tout en agitant la main ce qui n'était absolument pas son style.
and like the moon we must go through phases of emptiness to feel full again
loveLa mise en scène était délicieuse. Et Heaven jubilait. Il respirait l'exultation derrière ce sourire pervers, presque absurde. À chacun de ses mots, son sourire s'élargissait et un peu plus, Eden l'excitait. Il vint même à frissonner de plaisir.
C'était plus fort que lui et il tentait même de cacher tant bien que mal ce sourire en posant son index et son majeur sur ses lèvres. Et pourtant, il ne faisait qu'écouter attentivement. Jamais ses yeux n'avaient quitté ses affaires, retournant la terre de sa main libre.
- Au revoir, Heaveeen. A bientôôôt.
Et alors, Heaven daigna lui lancer un regard final. Ce fut là son erreur la plus fatale. Il n'y avait pas de haine ni même de rage. Ce n'étaient pas les yeux d'un jardinier, c'était ce que lancerait un fou, il n'y avait pas d'autres explications. Dans son regard, on ne lisait qu'une seule chose : un plaisir presque sexuel à torturer le professeur. Heaven prenait un plaisir qu'il n'eut jamais atteint même lors de ses meilleurs rapports avec d'autres partenaires. Il n'y avait rien de plus malsain. Même pour Heaven.
Et dès lors, il sut. Comme tous, bien que maître de lui-même, il avait malencontreusement laissé filtrer ses émotions. Malgré lui, Heaven s'était trahi.
- Et merde, chuchota-t-il bien plus pour lui-même qu'en guise de réponse.
Eden était certes un bon perdant. Mais ; Heaven, lui ; il ne voyait simplement qu'un match nul.