Ses talons claquent contre le sol de l’aile médicale.
La bibliothécaire avance d’un pas décidé dans le couloir blanc, elle oublie la discrétion la plus élémentaire. Peu importe à ses yeux le repos des malades, peu importe le respect pour ceux qui occupent les lits de l’infirmerie. Elle se fait violence pour ne pas y passer en coup de vent, pour ne pas vérifier l’hypothétique présence d’Eden en compagnie de l’infirmière naïve. Fever boue d’une colère sans nom à cette idée. Alors elle ne s’arrête pas.
Elle file chercher du réconfort dans la figure familière de son ami.

Elle toque à la porte d’un coup sec et n’attend que quelques instants avant d’ouvrir. Elle n’a que trop peu de respect pour les entretiens psychologiques pour s’inquiéter de déranger un élève en plein milieu d’une confidence. Heureusement, ce n’est pas le cas aujourd’hui. La salle est vide à l’exception de Red, et elle ne peut s’empêcher de soupirer de soulagement.

▬ Livraison de pâtisserie. Elle pose la jolie boîte sur le bureau de son ami, entre les dossiers et les paquets d’encens. Et que je te rassure. Non, je n’ai pas tenté de cuisiner. Oui, ça vient de la boulangerie. Et non, ce n’est pas le cadeau d’un élève qui chercherait à se venger d’une énième colle que je lui ai donné. Elle s’installe sans la moindre gêne. Raconte-moi ta journée mon petit chat.

L’endroit lui est familier, elle vient souvent s’y réfugier quand elle a besoin de lâcher prise, quand elle recherche la compagnie de quelqu’un qui ne la jugera pas, parce qu’il a déjà vu le mauvais qui existe en elle.
Et elle abandonne ce masque froid, cette obsession de la perfection.
Juste le temps d’un goûter.

Red fait partie de ces personnes qu’elle qualifie, sans aucun doute, de trop gentilles. Elle s’étonne elle-même du respect qu’elle a développé pour lui.
Elle est persuadée qu’il agit comme un bon psychologue, une personne soucieuse d’aider les élèves avec leur misère. Il fait de son mieux, malgré ses lubies bizarres et sa manie de rôder dans l’orphelinat.
Elle ne s’est jamais sentie aussi proche de lui que le jour de son retour, le jour où il est revenu à la maison pour prendre soin de ces enfants perdus.
Et pour ça, elle chérit cette présence.

Red est un bon psychologue.
Il est susceptible de comprendre la détresse dans le discours des orphelins, la détresse face à une pression trop grande, à un système compétitif qui pousse à la solitude. Et tout ça, c’est parce qu’il l’a vécu.
Rien à voir avec les précédents.
Rien à voir avec Agamemnon.

▬ J’ai une question à te poser d’ailleurs. Penser à l’ancien psychologue ne lui fait pas du bien. La conversation surprise le matin même entre deux élèves lui a fait l’effet d’une douche froide, d’un retour dix ans en arrière. J’ai entendu des élèves parler du contenu d’anciennes séances psy. Des séances qui date au moins d’une dizaine, voire quinzaine, d’années. Elle lisse sa jupe, geste désespéré pour reprendre de l’assurance. Ces archives sont censées être confidentielles. Une idée de comment les gosses ont pu mettre la main dessus ?

Rien ne reste jamais secret à prisme, et ce n’est pas faute d’essayer. Mais ces papiers appartiennent à un passé désormais révolu. Un passé où elle n’est pas seule, où les visages d’Autumn et Backup sont omniprésents.