Les soirées semblaient s'enfiler les unes après les autres comme si elles n'avaient en réalité pas de fin.

Les coups venaient s'écraser sur son visage et alors qu'il se redressait systématiquement, son poing s'écrasait à son tour sur un, deux, trois visages inconnus, il finissait la soirée assis sur un muret à retenir son nez de pisser le sang, regagnait son appartement des bouts de coton dans les deux narines, râlant, grognon et plus qu'à moitié assommé.

Cette soirée-là était légèrement différente pour la bonne raison qu'il était trop blessé pour s'adonner de nouveau aux combats clandestins. L'image de Fever, presque effacée, ne revenait presque plus, il avait l'impression que son cerveau était engourdi par l'adrénaline, assommé par les coups, son œil droit n'y voyait plus vraiment, son pouce gauche était tordu sans oublier les multiples bleus répandus sur tout son corps.

Il avait hésité à entrer dans le hangar où on entendait déjà les cris, les coups et le reste lorsqu'il avait fait demi tour. Il ne faisait pas encore nuit noire, on en était à cet espèce d'entre deux vers 22 heures où, l'été, l'obscurité n'avait pas encore avalé l'ensemble des silhouettes des bâtiments de la ville.

Se souvenant de quelque chose qu'il devait faire depuis un petit moment déjà et qui lui ferait oublier le fait d'aller se battre, de penser à Fever ou de s'assommer en compagnie de ses potes de boisson au bar, Eden avança. Il lui semblait que ses jambes étaient lourdes, si lourdes, mais il réussit à esquisser quelques pas pendant la centaine de mètre qui le séparait du gymnase en question.

Là-bas, les lumières étaient toujours ouvertes, les ballons ricochaient contre les murs, plus on s'en approchait, plus on entendait les cris d'encouragement des sportifs. Sa main attrapa la clanche, poussa la porte.

Edgar n'aurait su dire pourquoi il préférait les gymnases, sans doute était-ce l'endroit dans lequel on pouvait le plus mettre ses soucis de côté, crier des ordres juste pour le bien des gens, pouvoir se défouler autant possible.

Pour la première fois depuis longtemps, un sourire s'esquissa sur son visage, il s'avança légèrement dans la lumière, tentant d'appréhender tous les visages des joueuses devant lui. Il était généralement facile de trouver les entraîneurs, ils se tenaient sur le côté, prêts à corriger les joueurs et montrer l'exemple, mais ce qu'il vit le figea.

« Merde. », jura-t-il en russe.

Il fallait dire que l'entraîneuse (il s'agissait donc d'une femme ayant le double de son âge) ne lui était pas inconnue. Dire qu'il la connaissait mieux que personne aurait été vrai fut un temps, mais depuis quand avait-il commencé à perdre contact avec qui elle était ?

Edgar s'avança de quelques pas jusqu'à son niveau :

« Mama ? Tu fais du volley ? »

La femme eut l'air surprise, elle esquissa un mouvement de recul puis eut l'air de le dévisager comme si elle ne l'avait pas vu depuis des jours. Posa une main (si douce) sur son visage tuméfié.

« Arrête. », grinça-t-il, gêné, tournant la tête vers la droite.

Que ?

Vers la droite.

La gosse.

La scène paraissait étrange, ce professeur, la main de sa mère collée sur la joue, la gosse.

« Tu fous quoi ici, t'es pas censée pioncer ? »

La situation inspirait le malaise, le regard ne quittait Boy et la vit sortir l'appareil avant qu'il n'eut pu l'en interrompre.

Le temps qu'il fasse un mouvement et la photographie était déjà dans la boîte, une grimace s'affichait sur son visage. Pourtant, il considérait qu'il n'avait pas ds relations totalement à chier avec ses élèves, qu'il était même plutôt ouvert d'esprit et qu'il s'investissait vraiment pour leur futur.

Merde.

Alors quoi ?

Il n'allait pas frapper une gosse en plein gymnase surtout sous les yeux de sa mère ?

Ou même se laisser rabaisser de la sorte, prouvant aux yeux de tous que son autorité était nulle.

« Tu comptes faire quoi avec ça ? », dit-il, « Je ne vois aucun intérêt à collectionner ce genre de photo, surtout de ma mère. Encore avec une jolie fille pour me faire du chantage, je comprendrais mais ma mère ? »

Et encore, du chantage. C'était oublier qu'il n'était plus avec Fever, Fever qui occupait la majorité de ses pensées et qu'il tentait d'effacer progressivement de son cerveau. Merde. Sa mère savait-elle, pour Fever ?

Il semblait que les adolescents avaient un drôle de fonctionnement. Interdisez-leur de faire quelque chose et ils ne pourraient pas s'empêcher de le faire. Poursuivez-les et ils s'enfuiraient.

Secouant négativement la tête comme lorsqu'on parlait d'un enfant un peu grognon, Eden tourna de nouveau la tête vers sa mère.

« Quelques blessures pendant le sport, rien de grave. Je suis surpris de te voir ici, je voulais proposer au club de venir faire une démonstration sur le campus de Prisme. Enfin. »

Le professeur de sport tourna un regard presque lassé vers Boy. Il était un peu énervé qu'elle ait pris cette photo, même s'il tentait de ne pas le lui montrer. Enfin, de toute façon, quelque soit sa réaction ici-même, elle ne pourrait pas aller plus loin que l'orphelinat et n'échapperait aux sacro-saintes heures de colle (le must serait qu'il la foute sous la houlette de Heaven pour lui faire faire du désherbage, ça lui ferait les pieds).