a wolf is a wolf, even in a cage, even dressed in silk
maestroIl y a de ces gens. Ceux qui embrasent la rage comme une amie. Ceux qui se fichent de la sensibilité des autres comme si la leur prenait déjà trop de place. Ceux comme lui.
Lui. Le voilà. Le long soupir.
Assise sur une chaise de la classe de musique, l'ennui commençait à pointer le bout de son nez. Il frottait contre son ego, tout près de la colère et de la tristesse. La noiraude se pinçait même l'arête du nez dans l'espoir, certainement vain, que l'on vienne les secourir dans les secondes à venir. Comme si le destin s'amuse des ironies [du sort], il choisit de la coincer avec l'un de ces élèves à la langue de vipère. Ceux qui ne connaissaient de la douceur que le nom. Ceux qui avaient sûrement dans l'idée que son obsession l'avait rendu sourde.
- C'est cassé, finit-elle par dire. Le clenche.
Les mains sur le piano, la métisse effleurait jalousement ses touches. Incapable de dompter entièrement la musique, elle n'en était plus qu'une spectatrice frustrée et n'osait s'en emparer qu'accompagnée de sa seule et unique personne. Or, étrangement, sa présence à lui ne l'écrasait pas. Elle n'était ni lourde ni pesante. Simplement… flottante.
- J'ai appris un nouveau morceau, continua-t-elle. Je peux te le montrer ?
La voix basse, bien loin de sa forte tonalité habituelle ; les yeux toujours aussi perçants et fous ; la paille de son lait à la fraise totalement écrabouillée par sa denture. Rien en Yin ne laissait transparaître l'ombre d'un reproche ou d'une moquerie en réaction à celles qu'avaient dû prononcer le garçon. Comme si elle en était finalement insensible.
Etrange, songea-t-elle. Comme la réalité est différente.
- Pour attendre, déclara-t-elle le sourire aux lèvres.
Encore dans cette salle de musique, cette salle tant détestée, tout cela parce que Dorémi lui avait donné des devoirs en plus.
Thorn avait eu beau grogner, menacer le prof', ça n'avait pas vraiment marché et il s'était retrouvé ici avec une partition en face de lui et la mission de la passer de mineure à majeur.
Cela semblait être devenu une habitude, d'être coincé dans cette salle de musique. Si vous saviez combien il détestait ce piano qui siégeait au tout milieu, combien il avait envie de vomir quand il entendait le moindre son ou ses réactions lorsqu'on le forçait à le faire.
Oh, Thorn le faisait, pour le classement, pour les notes, mais c'était plus fort que lui, il y avait quelques choses dans son cœur qui ne passaient pas. Chaque air de musique le rendait profondément mal et étant donné sa nature, il n'avait vraiment pas envie de s'épancher là-dessus, il répondait à cette émotion par la seule chose qu'il connaissait : la violence.
Lorsqu'une nouvelle personne entra et vint rompre sa concentration, le quatrième leva les yeux de sa feuille pour fusiller du regard le nouveau venu. La. Il n'avait aucune idée de son identité, même si son regard lui disait vaguement quelque chose. Thorn recommença à se tortiller les cheveux autour du doigt. Sa voix, ce qu'elle disait, il ne le comprit qu'à peine. Il soupira, ne pigeant pas que la porte était cassée, prêt à tenter de retrouver sa concentration même en sa présence.
« J'ai appris un nouveau morceau, je peux te le montrer ? »
La phrase naquit dans sa tête comme un bourgeon. Un bourgeon qui eut le temps de grandir, faire ses fleurs avant que Thorn ne comprit vraisemblablement. « Pour attendre », mais pourquoi elle voulait attendre, celle-là ? Le roux grogna, se leva. Elle qui était si propre, assez sur le siège du piano, il en ferma le clapet du clavier, faisant attention à ne pas écraser ses mains.
Elle avait déjà bien trop joué, il détestait ce son.
Ah, plus proche de cette fille, il savait maintenant qui elle était, son nez le lui disait. Cette nana qui avait vraisemblablement oublié l'emplacement des douches dans l'orphelinat, ou alors qui allait si souvent en cours de sports qu'elle empestait.
« Joue pas un seul son ou je te tabasse. », grogna-t-il, la fusillant du regard du haut de son 1m65. Il s'en éloigna un peu pour ne plus sentir ses effluves, se dirigea vers la porte pour en secouer la poignée. Elle tomba entre ses mains et Thorn regarda la nouvelle arrivée avec un mélange de fureur et d'inquiétude dans le regard.
« C'est toi. T'as saboté la porte, c'est ça ? Putain, dis-moi que t'es en option menuiserie, hein ! ET TU TOUCHES PAS A CE PIANO !!! »
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maestroPresque spontanément, une œillade fut accordée au ciel. La violence du roux était teintée de drame et il lui était ainsi difficile de ne pas rire face à ce spectacle pour le moins dérangeant. C'était comme s'il croyait être le personnage principal. Avec ce vocabulaire fleuri et ce ton rageur.
- Le monde ne complote pas contre toi, répondit-elle. Réveille-toi.
Les sourcils froncés. Les mains sur le clapet du clavier. La paille toujours dans la bouche. Il paraîtrait qu'il y eut une certaine volonté de sa part de provoquer. Or, il fut plutôt hardi venant du roux d'essayer de faire détourner le regard de la saturnienne sur son obsession. Comme une enfant, l'interdit avait toujours eu un goût alléchant à ses yeux et plus on lui refusait son art, plus elle en devenait maniaque.
- Je n'ai aucun intérêt à rester coincée dans la même pièce que toi. Ici, on est tous des génies, continua-t-elle. Ne-
Ne t'y crois pas trop, songea-t-elle.
D'un geste brusque, elle réouvrit le clapet, retirant ses yeux fous de la vue du roux. Sa mâchoire était si serrée qu'elle donnait l'impression de pouvoir se détacher au moindre mouvement. La colère n'a jamais été pas un sentiment qu'elle savait embraser comme elle le faisait avec la rancœur. La rancœur, évidemment, c'était une toute autre histoire. Pensée ironique, Yin n'était pourtant pas de ceux qui se souvenaient.
Toutefois ; elle se rappelait bien des remarques, des regards. Et dès lors, des menaces.
- Ce n'est pas comme si je l'avais pas déjà prévenu que c'était cassé, marmonna-t-elle boudeusement.
Soupir saturnien, elle revint à son piano et ses mains maladroites en ignorant ostensiblement le roux. Frustrée au possible, ses sourcils avaient créé une barrière de rides entre eux. Il lui était difficile d'assimiler la colère du roux envers la musique. Elle qui n'était pas en totale osmose avec cette discipline pensait tout de même et peut-être naïvement pouvoir être la révélation [qui le ferait aimer la musique] pour son camarade. Elle voulait feindre un talent évident pour la musique, mais c'était évidemment bien loin d'être la réalité. L'Art est une discipline trop large pour que son génie touche chaque pan ; il lui était difficile de l'accepter.
- Je ne sais pas jouer du Beethoven mais je me débrouille, tu sais, insista-t-elle.
Enfermés, ils étaient enfermés et aux yeux de Thorn, c'était catastrophique. Il avait mal au cœur à l'idée que Yin ne pose la main sur sa clavier, qu'elle lui joue un morceau, juste pour son bien. Son mal se propageait à tout son corps, il se mordit les lèvres, se tira légèrement les cheveux, enleva sa main droite de ses boucle, alors qu'elle y était réfugiée depuis tout à l'heure.
Mal.
Mal.
Son souffle sonna creux, il avait l'impression qu'il n'avait pas assez bu, ou pas assez mangé, mais il était mal.
Thorn s'escrima à nouveau contre la porte, la secoua comme un dératé, mais rien. Ce n'était pas comme s'il l'avait déjà fait la première fois, comme si Yin ne l'avait pas déjà prévenu. Il grogna de nouveau, comme si ce n'était pas suffisant, puis se dirigea vers la direction opposée, tentant de chercher du regard une sortie miracle qui permettrait son évasion.
Certaines salles de classe communiquaient entre elles par le biais de portes sur le côté, mais ce n'était pas le cas de celle-ci, il fallait croire que la malchance se jouait de lui.
La malchance se jouait de lui, elle était comme un tourbillon qui tournait autour de sa tête, comme un vautour audacieux. Il la détestait consciencieusement, au même moment qu'il voyait les doigts de Yin posés sur le clavier, prêt à jouer ou à entonner quelques morceaux de minutes. Il la détesterait sans doute pour ça, elle qui était transparente pour lui quelques minutes auparavant.
Comme un animal coincé, Thorn continua à chercher une issue. La porte étant bloquée et lui-même ne trouvant par de second échappatoire, il y avait bien les fenêtres. D'immenses fenêtres parfois légèrement ouvertes en des saisons plus chaudes, qui laissaient filtrer les arbres du parc. Thorn aimait la nature, lorsqu'il entendait un oiseau, qu'il sentait le vent, il mourrait d'envie de courir dans l'herbe et de retourner là où il appartenait.
Thorn se rapprocha d'une fenêtre et appuya sur la poignée, l'ouvrant et la tirant un peu. De là, ils n'étaient pas si haut, il pouvait bien sauter de la fenêtre, ils étaient au rez-de-chaussée, c'était pas comme s'il le faisait pas déjà du haut de sa fenêtre, via l'arbre. Et c'était sans doute mille fois plus dangereux.
Dehors, il ventait et pleuvait. C'était un temps à ne pas mettre un chat dehors, et à ce moment, Thorn eut une brève pensée pour le sien (ce n'était pas le sien, mais il le considérait comme) qui vadrouillait continuellement dehors. Il monta sur le rebord de la fenêtre pour s'échapper de cette salle, il n'y était déjà que trop resté.
Il avait trouvé une sortie, une sortie, vous compreniez ?
« On attendra demain pour Beethoven, j'tiens pas à devenir sourd hein. Allez, à la revoyure, j'dégage. »
C'était pas comme s'il était très bavard, Thorn, en tout cas, il s'élança à ce moment vers l'extérieur, c'était pas comme si l'eau, ça faisait fondre.
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maestroUn animal. Un animal sauvage, même. Ce jeune homme à la chevelure de feu avait les traits d'une bête. Yin n'avait jamais été proche de la nature ou du moins, pas de cette façon. Incapable de dompter de telles créatures, elle se contenta ainsi d'accepter l'idée qu'il était sourd. Chacun de ses gestes lui rappelait qu'elle était loin, loin de son monde et que ses petites mains sur le clavier pouvaient attirer sa rage vers elle. Sagement, elle décida de s'en éloigner suffisamment pour qu'elle n'entende plus la petite voix dans sa tête.
« Il aime forcément la musique. Jouons-lui un morceau pour l'apaiser. »
Les yeux s'écarquillèrent et le cœur se resserra si, si fort qu'il donnait l'impression de compresser sa perception des choses. Même, ses mots peinaient à trouver leur chemin vers la sortie et étrangement, ses jambes furent plus vives que ne le seraient jamais sa voix. Presque trop théâtralement, Yin se jeta sur le jeune homme, l'empêchant de prendre la fuite par la fenêtre et l'emmenant das sa chute ; ils tombèrent lourdement contre le carrelage de la salle de classe.
Ses yeux paraissaient toujours aussi fous mais d'une de ces folies différentes d'ordinairement. L'une de celles qui cherchaient ses mots.
- Mais ! Tu- T'es- Je sais jouer ! finit-elle par hurler.
Elle avait l'air d'avoir couru des kilomètres. Elle avait l'air tout à coup si maigre et si fatiguée. Comme si elle venait d'offrir son âme en échange de la rapidité de ces quelques pas. Son souffle était étrangement mentholé et donnait l'impression de cacher difficilement l'odeur de peinture pourrie. C'était un mélange mystérieusement dérangeant. Il disparut toutefois rapidement tandis que la noiraude se relevait et regagnait sa place. Comme si tout ceci n'était pas arrivé et avec une tranquillité inhabituelle.
- On ne se suicide pas devant ses camarades, continua-t-elle, cette fois-ci, plus calmement.
Elle arrangeait ses mèches de cheveux en bataille. Elle donnait l'impression d'être habituée aux malheurs des autres. Évidemment, l'orphelinat devait avoir aidé, mais il y avait quelque chose d'agaçant dans la banalisation des souffrances des autres. Elle avait l'air de ne pas en avoir véritablement quelque chose à faire. Comme si tout ce qui pouvait réellement la déranger dans le discours et dans l'acte du garçon flamboyant, c'étaient ces quelques mots : « j't'iens pas à devenir sourd ». Il avait sous-entendu qu'elle n'était pas capable, qu'elle n'était pas le génie dont tout le monde parlait. Ou du moins, c'est ce qu'elle imaginait.
Attrapant son lait à la fraise, elle entreprit de le terminer, sirotant paisiblement les dernières gouttes. Puis, enfin, quand elle eut terminé, elle releva la tête vers le garçon. Elle semblait tout à coup moins pensive et avait l'air d'avoir perdu son air rêveur. Cette aura paisible qui flottait autour d'elle avait disparu et seule son obsession s'avançait sur le devant de la scène.
- Je peux jouer du Beethoven. Il faut seulement que je donne plus de temps à la musique. J'ai beaucoup de projets et seulement vingt-quatre heures dans une journée, tu sais.
La gravité devint un facteur essentiel à leur chute et en quelques secondes, leurs deux corps entrent en collision.
Atterrir sur Yin, c'est mou, pas bien agréable, et Thorn ne tarde pas à se décaler sur le côté, gêné.
Il ne comprend pas. Ni ce qui a poussé Yin à le retenir – elle ne veut pas de suicide, elle délire ? Ils sont au rez-de-chaussée là. Thorn la regarda comme s'il ne comprenait pas, rien du tout, nada, et c'était vrai : il ne pigeait pas la moindre once de son comportement, du piano à ça.
« Tu veux m'empêcher de sortir ou ? C'est toi qui a coincé la porte ? On est au rez-de-chaussée bordel ! »
Il était mal, ses joues blanches qui voulaient s'activer pour l'ouvrir, cette porte, comme une bête qui traîne dans une cage trop petite, un garçon enfermé dans un endroit clos. Il n'avait toujours pas bougé, mais il avait l'impression que sa respiration s'accélérait, tout comme il ne la lâchait pas du regard.
Se relever semble tellement 2020, ses mains touchent le carrelage, il reste de marbre. Ne pas la lâcher. D'ailleurs, il se lève pour choper le bras de la fille au vol.
Le lait à la fraise vole, tombe. La gravité fait de nouveau victime. Pas grave, il était vide.
Vite.
La peur se lit dans ses yeux, son souffle est encore court.
« Tu joues pas. Tu joues pas Beethoven. Joue pas, je te dis. »
C'était plus qu'un besoin, c'était une supplication.
« Fais pas ça, vraiment. Je veux sortir, sans musique. Je te tords tellement fort le poignet sinon que tu pourras plus jamais tenir un pinceau, un archet ou que sais-je soit ta passion. »
Ses yeux n'étaient pas méchants, pas cruels, il avait juste peur. Terriblement peur.
De quoi ?
Qu'on le sache, Beethoven n'allait pas se relever de sa tombe pour les hanter, si ?
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maestroNoir de colère. Rouge de honte. Bleu d'incompréhension.
- Je te tords tellement fort le poignet sinon que tu pourras plus jamais tenir un pinceau, un archet ou que sais-je soit ta passion. - Ne me menace pas, répliqua-t-elle aussitôt.
Son visage neutre trahissait l'ombre d'une colère et de mille autres émotions, parfois contraires. Déjà, le jeune homme serrait si fort son bras qu'elle avait le sentiment qu'il se briserait bientôt. À son tour et presque par automatisme, elle referma sa main libre sur le col de l'élève de cinquième année.
Cette menace sonnait encore sourd dans sa tête, mais elle n'arrivait tout à coup plus à retenir autre chose que ce regard. Son regard. Bien plus effrayé qu'elle ne le serait jamais, il réveilla en elle une pitié qu'elle ignorait pouvoir un jour ressentir pour lui. Une pitié qui, si puissante, parvenait même à détruire le semblant de colère qui commençait naturellement à l'habiter.
- Ah bon, déclara-t-elle simplement.
Naturellement, la main saturnienne se retira du col de la tignasse rousse. Elle jeta un coup d'œil à son lait à la fraise, simplement contente d'avoir gardé la paille dans sa bouche. C'était une étrange habitude qu'avait Yin. Cette habitude d'éteindre inconsciemment les peurs, culpabilité des autres en étant si, si distraite. Cette façon de bayer constamment aux corneilles était quelque part rassurante comme si personne ne pouvait être aussi fous qu'elle ne l'était déjà.
- J'ai dû mal comprendre tes intentions, assura-t-elle spontanément en haussant les épaules. Toi aussi, d'ailleurs. Je ne nous ai pas enfermés ici, marmonna-t-elle.
Mâchouillant sa paille, son visage avait retrouvé ses mêmes bizarreries.
Pour Yin, rien n'était plus important que la source de son obsession. Lui retirer ses mains était ainsi comme lui proposer de l'abandonner. C'était effrayant mais peut-être pas plus que ce que traduisait le regard de la tignasse rousse. La bonté de Yin était inconsciente et certainement largement incomprise. Elle ne se plaignait pas du comportement des autres envers elle et toujours ce sourire collé aux lèvres, elle ne leur donnait pas plus d'importance.
- J'ai aussi envie de partir. Je commence à avoir faim.
Thorn croisa le regard de Yin, Yin croisa le regard de Thorn.
Colère, peur, ressentiment.
Appréhension.
Il aurait pu exploser, répandre sa peur sur les murs de la salle tout autour, sur Yin sans doute. Il aurait pu crier, frapper, tirer les cheveux, briser, il l'avait déjà fait.
Sa main était toujours sur son bras, il l'aurait brisée avec tellement de facilité, et pourtant...
...Et pourtant, Thorn fut arrêté si facilement. Il aurait pu la détruire, mais elle n'avait rien fait. Son inactivité l'avait figé, la prise sur son bras s'était desserrée au même moment où Yin avait lâché son col.
« Tu. »
Son cœur recommençait à battre à un rythme normal et encore quelques secondes plus tard, sa main était de nouveau le long de ses cuisses, il regardait Yin comme si elle était porteuse d'un salut pourtant inespéré.
« Pourquoi tu ? Enfin j'aurais pu te faire très mal si je m'étais pas arrêté ! Tu as envie d'avoir mal ? J'aurais pu être méchant, vraiment méchant !!! »
Il aurait pu crier, il ne le fit guère. Son ton était normal, il restait immobile à sa place, son ton était suffisamment haut pour qu'on le comprenne, sinon, il bougeait à peine les lèvres.
L'agresser, chercher à comprendre ne servait à rien, sans doute était-elle juste intelligente, consciente que la violence ne servait à rien à part faire un peu plus de morts ou de blessés, les orphelins d'ici en avait souvent subi le contre-coup.
Un léger mal de tête le prit, Thorn plaqua sa main contre son front, jetant à nouveau un regard méchant, cette fois adressé au piano.
« On peut se tirer par la fenêtre, j'te dis. Dehors, ils vont se foutre de notre gueule si on le fait pas. J'peux pas rester ici un instant de plus, ça fait trop mal. J'veux pas me souvenir, c'est hors de question. Et Red n'est pas là pour gérer ça. »
Il se mordit les lèvres, mentionnant le nom du psychologue de l'orphelinat, sans doute le seul à pouvoir l'aider dans une telle situation.
Il n'était pas idiot, il savait que sa non-appétence pour la musique avait à voir avec le fait qu'il détestait entendre le son des instruments, il entendait la douleur de son cœur. Pourquoi avait-il fallu que ça se déclenche maintenant ?
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maestro- […] J'aurai pu être méchant, vraiment méchant, s'écria Thorn. - Ah, je vois ce que tu veux dire. Tout à fait censé. Sauf que tu ne l'as pas été, répliqua-t-elle en souriant.
Et puis ; un petit rire lui échappa. Elle le trouvait finalement drôle. Avec ses mimiques de garçon en colère. Il était un peu bizarre et ce fut certainement cette pensée qui la fit rire. Finalement, la métisse avait beaucoup d'auto-dérision, bien qu'elle décida de ne partager pas sa petite blague avec l'élève de cinquième année.
Même, elle s'accorda le droit de caresser le haut de son crâne. Comme la grande sœur qu'il n'aurait jamais. C'était presque risible, cette façon qu'elle avait de se comporter comme si ce n'était pas elle l'étrangeté de cette pièce. En tout cas, ce n'était pas elle qui était effrayé.
- On peut se tirer par la fenêtre, j'te dis, déclara-t-il. - Ah d'accord. Après tout, si tu ne te suicides pas, répondit-elle en haussant les épaules avec insouciance.
Sans attendre, la noiraude se dirigea vers la fenêtre, jaugeant la dangerosité de la chose à coup d'onomatopée. Ses joues avaient aussitôt rosi lorsqu'elle constata la faible hauteur et elle resta alors quelques secondes à observer la pluie s'abattre sur Prisme. De toute façon, elle n'avait jamais aimé l'odeur de la pluie.
La musique n'a pas d'odeur, songea-t-elle justement. C'était certainement la seule raison pour laquelle elle avait agi aussi intelligemment. Yin n'était pas tout à fait une personne douce ; il était clair qu'elle ne connaissait pas ce besoin dans la musique comme dans d'autres arts plastiques qui se rapprochaient de l'odeur de ses rêves.
- On dirait une piscine, marmonna-t-elle. C'est comme le plongeoir d'une piscine, finit-elle par dire, cette fois-ci, plus fort.
Tirant la paille fermement coincée entre ses dents, la jeune fille avait soudainement trouvé quelque chose de plus attrayant que de se mettre à jouer une mélodie effrayante pour son camarade flamboyant. Et, comme dans un plongeoir, elle sauta. La tête la première. Les bras en avant. La paille sur le sol de la classe de musique.
- Aïe !
Rouge était son nez. C'était la blessure. Rouge était son visage. C'était sa honte.
Sans étonnement, le plongeon de Yin s'avérait être une mauvaise idée. Son nez avait rencontré le sol avec une force qu'elle s'étonnait presque de posséder et avait aussitôt commencé à saigner abondamment. Comme elle, son sang se noyait sous la pluie. Quelque part, elle espérait que Thorn l'ai suivi dans sa piscine improvisée ; elle espérait plutôt qu'il reste aussi drôle qu'elle l'avait pensé, quelques secondes plus tôt.
Tout ce qu'il fit là fut de rester juste à côté d'elle et la regarder plonger.
Dans le vide.
Sa détermination était sans cesse, Thorn leva un sourcil sans comprendre ce qu'il venait de se passer. Il n'était guère familier avec le premier, voire même le deuxième degré, tout ceci était bizarre, trop bizarre pour lui.
Rapidement, un peu trop d'affolement dans ses mouvements, il se précipita à la fenêtre pour voir ce que Yin devenait. Si elle nageait, ou si son corps avait chuté avec fracas.
Lui à l'abri, elle dehors, elle n'était que dans le pataugeoire.
« Stupide ; assurément stupide. »
Néanmoins, il y avait un petit quelque chose dans le comportement de Yin qui le fascinait, ce élan de liberté et de je-m'en-foutisme qu'il ne parvenait pas à adopter. Comme il l'avait fait quelques minutes auparavant, tout comme Yin, il se plaça sur la fenêtre, le plongeoir, mais lui ne sauta pas tête en avant.
Il sentait les gouttes d'eau mouiller ses cheveux, le vent lui souffler au visage, il sentait la peur de le faire et se boucha le nez avant de sauter en chandelle.
Son corps entra en contact avec le sol, puis s'écroula sur celui de Yin, et ouvrant les yeux, il remarqua enfin le sang coulant comme un ruisseau sur le sol. Même s'il avait mal partout, il n'avait pas tant que ça l'impression de s'être ouvert, aussi en déduisit-il que ce sang vermeil devait être à Yin. Il se dégagea de là, se mit sur la gauche, glissant de là.
« C'était débile. », mais il resta sur le sol, la tête contre le sol, les cheveux pleins de boue et les lèvres mouillées par l'eau qui tombait du ciel. « Tu as mal ? Je ne sais pas si je dois te dire merci, mais tu m'as fait penser à autre chose ; tu t'es ouvert quelque part ? Sauter la tête en avance, c'était un peu con, non ? »
Dans le bassin fictif, Thorn agita les bras en haut et en bas, puis sa main toucha l'épaule de la fille.
« On se roule dans la boue ensemble et on s'en fout partout, ok ? », ne laissant même pas le temps à Yin de décider si oui ou non, il prit de la boue dans sa main et en tartina le visage de Yin.
Cette bagarre impromptu le libérerait sans doute de tous ses mauvais sentiments.
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maestroLes rires s'envolaient. La douleur s'effritait tout à coup. Celle de cette petite colère qu'elle connaît depuis Thorn. Thorn, la flamboyante personnalité qui est plus drôle que ce qu'elle pensait. Elle s'imaginait le croque-mitaine mais se retrouva face des petits yeux qui paraîtraient presque inquiets, d'un corps qui paraîtrait presque bien trop attiré par le sien.
- Oh non, ça va. C'est juste un peu spectaculaire quand on fait un plat, disait-elle justement.
Ses yeux brillaient. Son regard était fort. Et sa bouche ne cessait de s'étirer en un large sourire. Son sourire avait glissé avec une telle facilité qu'on en oubliait presque qu'elle pouvait être autrement vivante qu'à travers l'Art. Même, Thorn semblait rejoindre cette ambiance. Comme s'ils étaient des amis de longue date, quelque part. C'était certainement l'effet de la pluie et du choc, mais elle était persuadée qu'il venait de lui proposer de passer du temps avec elle.
- Tu sais que tu peux avoir les cheveux bruns maintenant ?
Aussitôt, elle fut tartinée de boue, les yeux et la bouche ronds d'étonnement. Elle goûta même un peu de cette matière. Elle eut l'impression qu'il venait de la sommer de se taire de la façon la plus polie et drôle possible. D'une certaine façon, elle en était vexée et se jeta donc naturellement sur lui dans une tentative de vengeance gauche.
Sa langue pendait sur le côté, assurant son soudain sérieux dans une tâche pour le moins frivole. Elle avait l'air de vouloir dessiner sur les cheveux de Thorn comme elle le ferait sur une toile. En réalité, il s'agissait certainement plus d'une volonté, certes extravagante, de tester sa théorie : Thorn pouvait-il avoir des cheveux bruns à l'aide de la boue ?
- Ne bouge pas, il faut que je–
La voilà qui se coupe la parole toute seule.
- Oh, ils sont doux.
Et si j'en faisais un pinceau, songeait-elle un instant. Pour tout dire, Yin s'était toujours demandée quelle était la texture des cheveux de son harceleur inconscient. Elle avait toujours été fascinée par leurs belles couleurs. Peut-être même jalouse. C'était un garçon étrange, ce Thorn. Il lui était difficile de comprendre ses codes de conduite et elle avait l'impression qu'elle ne serait jamais réellement son ami. Ça la rendait quelque peu triste, mais elle chérissait ce moment, certes éphémère.
Son sourire s'effrita et elle feint une douleur au nez. Tout à coup, comme une vague vengeresse, elle se souvint à quel point elle était seule. La pluie avait le mérite de cacher sa tristesse. Elle n'était pas douée avec les gens ou les émotions mais elle savait lorsqu'il fallait couver son coeur.
C'était cruel, les espoirs vains.
- Bah finalement, c'est peut-être grave.
Quitte à braver l'horreur de l'infirmerie. Quitte à braver Clown.
Elle goutta à cette matière et Thorn la vit ingérer la boue avec une légère grimace.
Mais il n'était pas vraiment dans le jugement, ce n'était pas trop son état d'esprit à ce moment, il la regardait faire comme si ce moment sortait un petit peu du temps.
Sans juger. En souriant, limite, et il mit la main à la terre pour goûter à son tour.
Le goût était tellement âcre qu'il recracha aussitôt, ses mains étaient marrons de boue, il sentait son souffle chaud malgré l'air froid. Regardait d'un air satisfait celle qu'il avait bombardé de boue.
C'était étrange comment il se sentait plus léger. Libéré. Il avait même eu un de ces petits hoquets de surprise, regarda ses mains comme pour être certain qu'il s'agisse bien des siennes lorsque Yin l'attaqua.
Enfin si on pouvait attaquer ça attaquer, par rapport à la précédente attaque de Thorn, celle-là semblait bien molle. Ce que le rouquin retint, ce fut que Yin semblait passionnée par ses cheveux. En tant normal, il se serait reculé d'un bon coup et lui aurait gueulé dessus. Ce devait être la pluie, ou bien la douleur, la tristesse, mais il se sentait prêt à partager un moment avec elle.
« Evidemment qu'ils sont doux, fais gaffe. Au moins tu seras forcée de prendre une douche, après ça. », se crut-il forcé de répliquer.
Ce n'était pas forcément la peine, se dit-il aussitôt, et il culpabilisa dès qu'il vit la grimace de Yin, puis ses yeux. Il resta pantois face à elle, ses yeux la fixant, puis retomba dans la boue, le dos en arrière.
« Peut-être. », souffla-t-il en réponse. « Mais ça passera, ça passe toujours. Et la douleur j'connais ça. »
C'était lui, le gosse qui était arrivé en béquille il y avait cinq années. Maintenant, il marchait et courait normalement, au prix de nombreux efforts. Les salles de kinés, il les avait vu, il en avait bavé, avait mordu quelques médecins aussi. Il ne s'était jamais senti aussi libre qu'à ce moment, sous cette pluie battante, les cheveux aussi sales et les vêtements trempés. Le lendemain venant, il serait probablement malade, mais ce n'était pas vraiment le genre de choses auxquelles il pensait à présent, non.
« T'es... », il ne savait pas s'il pouvait lui demander, il ne la connaissait pas, Yin, et jusqu'à présent, pour lui, ce n'était qu'une pauvre fille dont il se foutait de la gueule. « Comment t'es arrivée ici ? », il avait l'impression que sa voix était étouffée par la pluie.
« Enfin c'est pas comme si j'avais envie de me confier...mais t'es qui ? »
Il aurait eu envie que quelqu'un se rapproche de lui, qu'ils aient cette conversation là, tous les deux sous la pluie, introuvables dans ce pensionnat bourré d'enfants tous aussi surdoués qu'eux, pour une fois un instant tranquille dans tout le reste.
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maestroJe suis l'Art, songea-t-elle. Arrogante en apparence, Yin ne comprenait en réalité pas tout à fait la question du roux. Évidemment, elle se rendait bien compte qu'il lui demandait silencieusement de lui raconter sa vie ou peut-être, de lui parler un peu plus d'elle. Il lui était pourtant difficile de croire qu'il essayait de la voir autrement que comme cette étrange fille à l'odeur immonde. N'était-ce pas, après tout, naïf de la part de Thorn que d'y croire ?
Pensive, elle commença alors à mordiller sauvagement sa lèvre inférieure. Elle avait l'air presque stressée. Finalement, elle cherchait à répondre à sa question mais elle donnait l'impression d'être interrogée sans son consentement. C'était un étrange comportement, pour tout dire. Ou du moins, plus qu'ordinairement.
- Je ne m'en souviens pas, ria-t-elle comme si elle venait de dire une banalité. Il n'y a que cette odeur dans ma tête.
D'ordinaire, c'est un discours qu'elle tiendrait avec Castor. Certainement, l'avait-elle par ailleurs déjà fait. Toujours est-il qu'elle ignorait pour quelles raisons Thorn cherchait à la connaître et encore moins pourquoi elle ne s'en sentait pas flattée ; c'était pourtant l'une des uniques fois où il daignait porter une attention douce envers elle. Enfin, ce n'était pas comme s'il serait capable de comprendre où elle voulait en venir. Pas plus qu'elle-même d'ailleurs.
- Et toi ? De quoi as-tu peur ?
Yin ne souriait plus. Pourtant, elle avait l'air satisfaite comme si elle cherchait à provoquer Thorn. Ce qui ne serait sans doute pas très dur. Et, bien qu'elle donnait l'impression de comprendre Thorn, c'était loin d'être le cas. Yin ne faisait pas partie de ces gens-là qui connaissaient la finesse de la science des relations humaines. Certainement n'avait-elle même pas constaté la peur qui habitait un peu plus tôt son camarade ni même sa remarque sur la douleur.
Le regard fuyant, Yin donnait l'impression que ce qui faisait d'elle ce qu'elle était, était sa peur elle-même.
Quel étrange jeune garçon, songea-t-elle. Quelle étrange jeune fille.
Leur deux silhouettes enveloppés par la pluie, le son de celle-ci près de leurs oreilles, qui tombait, mouillait.
Près de leurs yeux, de leurs oreilles, venant refroidir leur température générale et mouiller leurs lèvres.
On ne sentait plus l'odeur de l'Art sous la pluie, sans doute était-ce une des raisons qui avaient calmées Thorn, ça et l'absence d'instruments dangereux dans la pièce. Là, dans la boue, autour des arbres, il était dans son élément, il était chez lui, c'était des choses qu'il aimait et dans lesquelles il pouvait se plonger avec verve, passion pour oublier.
Oublier.
Sa vie semblait être concentrée autour d'un oubli étrange. Il était évident qu'il avait vu des choses étranges, des scènes que son cerveau n'arrivait pas à expliquer. Thorn préférait ne rien savoir, quelque part, il était bien dans ce cocon mystérieux. Seule la musique venait mettre un peu de piment à sa vie, un avertissement qui n'avait pas lieu d'être, qui lui faisait peur, qui le terrifiait, le malmenait.
« De quoi. », répéta-t-il.
En temps normal, Thorn se serait certainement mis en colère, il aurait gueulé un bon coup et l'aurait laissée en plan dans la boue, chacun aussi malheureux que l'autre, les larmes au bord des yeux, la bouche tordue par le désespoir.
« La musique. Enfin c'est pas comme si j'en avais peur, mais...j'ai l'impression que ça pourrait me faire déconner mais grave. Je. Comme une menace, comme quelque chose au dessus de ma tronche. Enfin. », ses lèvres étaient mouillées par la pluie, il y voyait flou et n'arrêtait pas de cligner des yeux, une main devant la tête en guise de visière.
« J'sais pas pourquoi je te cause de ça. On n'était même pas potes y'a cinq minutes, j'savais même pas qui t'était. »
C'était vrai. Il était peut-être le bully de la Saturne, mais seulement pour elle. Lui se comportait juste comme il le faisait toujours avec les gens qu'il ne connaissait pas. Faisait des réflexions, pas spécialement méchantes, mais qui pouvaient blesser.
Thorn soupira mais ne bougea pas d'un pouce. Au fond, n'étaient-ils pas bien dans cette mare de boue, n'était-ce pas comme un retour à la terre ?
« T'as pas de souvenirs ? Plus du tout ou ils ne sont juste pas importants ? »
Il voulait savoir. Plus il en saurait, plus il avait le sentiment qu'il pourrait avancer sur lui-même.
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maestroLa musique, songea-t-elle, pensive.
Tout à coup, son sourire réapparu et elle songea que Thorn était finalement plus étrange qu'elle ne le fût. Après tout, il n'y avait rien de plus dérangeant que d'essayer de comprendre un cerveau ayant aussi insensé que le sien.
- Oh non, je me souviens de certaines choses, répondit-elle aussitôt comme s'il s'agissait d'une évidence. Ce qui a été le plus important pour les policiers, en tout cas.
Le rire de Yin s'échappa. Dans cette situation, il paraissait presque arrogant et railleur. Elle donnait l'impression de se moquer de l'ignorance de son camarade à la chevelure de boue. La réalité était bien moins cruelle : elle s'amusait seulement de sa façon de penser pour le moins particulière. De toute façon, Yin n'était pas suffisamment intéressée par les autres pour être volontairement mauvaise.
Yin s'amusait de ces propres mots. C'était ironiquement ce souvenir, le dernier qu'elle avait, qui avait fait naître en elle son obsession. Bien qu'elle en connaissait l'origine, elle n'en était pas le moins du monde effrayée. Ce n'était toutefois pas le cas de ces autres adultes qui l'avaient élevé depuis cet événement fortuit.
- Vous vous attachez bien trop d'importance aux morts et au passé dans cet orphelinat, ricana-t-elle naturellement.
Ses épaules remuaient tandis que son rire se mêlait à la pluie. Yin avait bien des traits très joyeux derrière ces teintes ternes et ce n'était, au fond, pas si difficilement remarquable. C'était peut-être l'une des seules dans cet orphelinat, d'ailleurs. On le voyait dans son rire sain.
Peu importe qu'ils soient morts, se fit-elle la réflexion. C'était en tout cas la seule certitude qu'elle avait : ses parents étaient morts. La façon et la cause ne l'intéressaient pas. Elle ne ressentait pas non plus le poids de leur absence pas plus qu'elle n'en était touchée. Elle ne doutait toutefois pas qu'ils jouassent encore un rôle capital dans sa vie. Quelques fois, elle se demandait à quel point.
- C'est bizarre ce que tu dis, d'ailleurs, continuait-elle, levant la paume de ses mains pour attraper la pluie. T'as pas l'impression que la pluie joue aussi sa forme de musique ?
Il était assez amusant de voir qu'ils avaient eu plus ou moins le même parcours. Enfin, amusant, tout cela était bien relatif.
Yin avait été secouée.
Ça se voyait comme un nez au milieu de la figure. Comme la Joconde au milieu d'une expo d'amateurs, c'était aussi ce qui secouait à ce point Thorn, ce qui le remuait. Que croyez-vous ? Sinon, le môme serait sans doute parti au quart de tour, dès qu'elle avait voulu faire ce plongeon ridicule ou lui avait foutu ses mains (sales) dans les cheveux pour l'enduire d'une boue qui ne faisait que le ramener à l'état primaire.
Il y avait quelque chose dans le moment qu'elle avait créé qu'il trouvait presque agréable, qui lui avait momentanément donné envie de se lier à elle pour quelques minutes, un temps tellement court par rapport à celui qu'il passait sur ses devoirs, sur les épais manuscrits qu'il apprenait par cœur chaque jour pour les besoins du classement.
« Les morts, le passé... », répéta-t-il. « Facile à dire. Je me souviens de rien. J'voudrais juste savoir qui j'suis, putain. »
Il bougonnait et la pluie couvrant à moitié sa voix, il ne sut pas vraiment si Yin avait entendu ou non. De toute façon, c'était une réflexion qu'il adressait à moitié à lui-même et ce fut bien avant qu'elle ouvrit de nouveau la bouche pour dire quelque chose qui changea totalement sa perception des choses.
T'as pas l'impression que la pluie joue aussi sa forme de musique ?
Pendant un instant, Thorn resta immobile. Il n'avait jamais pensé que la nature puisse avoir un bruit de musique, que la pluie encore moins. Elle était normalement la belle et sage pluie, cette pluie qui l'abreuvait quand il était mal et qui lavait ses cheveux lorsqu'ils étaient sales.
À présent, comme influencé par les mots de la sorcière Yin, il était immobile, à moitié relevé, assis sur le sol, le son strident du ciel glissant à ses oreilles. Il mit ses mains dessus, grimaçant, sentant son cerveau recommencer à déconner, y voyant rouge, noir, gris.
L'eau était une amie, qu'avais-tu fait ?
Elle semblait désormais froide et sans relief, comme un robot, Thorn se releva, se dirigea vers Yin pour la gifler de toutes ses forces. Il ne sut pas vraiment s'il avait frappé fort ou non, car il voyait mal, de l'eau brouillait ses yeux, de l'eau qui ne venait pas vraiment du ciel.
Ensuite, ses pieds, automatiquement, se remirent à marcher l'un devant l'autre, puis il courut vers l'orphelinat, seul endroit sûr qu'il connaissait maintenant. Sa chambre.
La couette.
Non, fit demi tour, plein de boue, se réfugia dans une chambre amie. Pas la sienne, il était seul, il avait toujours été seul.
Il ne prit pas le temps de retirer ses chaussures, les fenêtres étaient fermées, il était grimpé sur le lit et s'entoura de la couette de Castor. Elle étouffait le son, mais il mit ses mains sur ses oreilles.
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maestro- Connard ! hurla-t-elle de rage.
La main sur le visage, la colère de Yin semblait presque avoir une odeur. Elle se lisait si nettement sur son visage qu'on aurait dit qu'il s'agissait d'une autre personne. On ne voyait pourtant qu'un seul de ses yeux puisque le second était camouflé par sa main.
Sa voix se voulait plus forte qu'ordinairement mais semblait paradoxalement plus faible. Elle pleurait. De rage, de tristesse, peu importait puisqu'elle pleurait. Ça fait mal, songea-t-elle.
Pourtant ; la claque s'était déjà envolée au même titre que celui qui l'avait lancé. Sa réaction avait tardé à apparaître ; elle était restée immobile, la joue contre le sol boueux comme si elle n'avait pas voulu croire qu'il avait finalement posé sa main sur elle. Cette fois-ci était différente des autres fois : il l'avait réellement blessé. Elle aurait certainement un coquard, bien qu'elle pourrait facilement le camoufler grâce à son don pour le maquillage. Il s'agissait uniquement d'éviter les remarques des infirmiers ou d'autres enfants curieux mais cela ne voulait pas pour autant dire qu'elle essayait de le couvrir.
C'était décidé : Thorn serait la seconde personne qu'elle haïrait.
- Tu vas le regretter, je te le promets, souffla-t-elle entre ses dents pour elle-même, la mâchoire fermement serrée.
Rageusement, la métisse se releva. Elle était gauche de colère. Elle venait d'inventer cette expression, pour tout dire. Quelque part, ce qui l'avait autant agacé, c'était son manque de clairvoyance et de compréhension de l'autre. Elle avait sympathisé avec un personnage infâme avec elle depuis si longtemps et elle se rendait compte qu'elle n'était pas certaine de lui en avoir jamais tenu rigueur. C'était frustrant parce qu'elle n'avait jamais ressenti une quelconque affection pour lui. Enfin, jusqu'à ce moment-là.
Ce n'était plus difficile de comprendre l'origine de sa colère : Yin ne s'énerverait pas si Thorn lui indifférait.
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