scène 2
Knight : Vous pensez qu’il est mort ? Ce serait surprenant qu’on en ait jamais entendu parlé. Il y a des histoires qui se racontent depuis des années. Comme une mémoire institutionnelle que chaque nouveau entend.
Georges : Ça remonte pas à si loin que ça, en vrai. Une dizaine d’années c’est peu. Avec un changement radical dans la direction, c’est normal que cette histoire se soit tassée sous les nouvelles réglementations de l’institut et, je sais pas, des choses sûrement très importantes concernant l’administration et la gestion du pensionnat.
Increpito : Surtout qu'on sait à quel point la mémoire est malléable. Il ne serait pas étonnant que cette histoire ait été accaparée par l'institut pour conserver son image d'excellence. Le message sur nowhere qui accuse Mrs M. pourrait aller dans ce sens d'ailleurs ?
Knight : M n’est pas digne de confiance. On a pas besoin de l’histoire d’Autumn pour le savoir. Alors pourquoi maintenant ?
Georges : Bah. On est sponsorisés, les gars. Bien sûr qu’il faille conserver cette image et cette réputation. Pour le timing, ça aurait pu être maintenant ou dans cinq ans, un mensonge contient toujours des failles. Et comme vous le savez tout aussi bien que moi, plus gros ton mytho, plus chaud de garder son status quo. Si c’est pas toi qui fuite une info, ça sera un autre — complice, témoin, victime. Bref, la base.
Increpito : Mais qui est qui dans cette histoire ? La distribution des cartes semble parfois évidente, mais nous n'avons que les fragments d'une vérité vieille de dix ans.
Knight : Bah, qui était présent à l’époque… Fever, Eden… ? Eux doivent savoir Kek chose.
Georges tend une main dans l’air : Je sais que l’un de vous a de la tise. Nourrissez mon cogito pour qu’il soit à son apogée créatrice.
Increpito lui tend une bouteille et attrape son dossier au passage : Fever, oui. Elle est directement impliquée. Tu lui as envoyé une question ou toujours pas ?
Knight : Toujours pas. Ghost veut choisir la bonne question donc il réfléchit. Georges veut rien me donner parce qu’il souhaite quelque chose en retour. Et Anti… elle demande de poser l’obvious : Est-il en vie ?
Georges la récupère puis emprunte un ton grossier : Aye mate, il faille bien gagner son pain. Plus sérieusement, c’est une question intéressante. Celle d’Antigone, j’parle.
Increpito : J'approuve. C'est évident, mais est-ce que ça ne nous donnerait pas la preuve que tout le monde recherche ? Dans l'optique où Fever accepte de te répondre sincèrement.
Knight : Je suis certain qu'elle le sait déjà. C'est écrit partout sur le web. T'as même un fan page pour les hypothèses farfelues. Fever est pas idiote et ne vit pas dans un trou pour ne pas être au courant. Alors, faut avoir confiance en ses réponses, même si elles seront biaisées du fait qu'Autumn et elle étaient chummy.
Georges : Alors, je sais que t’as pas tout lu mais Fever avait tout de même une position moralement douteuse concernant A. Du coup, pas sûr. I mean yes she could, mais personne ne nous tiendra rigueur si on se permet de douter de sa sincérité.
Increpito : Moralement douteuse est une expression trop indulgente pour qualifier le comportement retranscrit dans les entretiens. Finalement, la question d'Antigone n'a-t-elle pas deux avantages ? Un, nous donner une preuve permettant de clore définitivement la question du mort ou vivant. Deux, juger de la sincérité de Fever, selon la réponse qu'elle apporte et si elle correspond à nos hypothèses.
Knight : Ok. Mais je ne vais pas la poser en prem'. Ça reste lourd comme truc. "Hey, salut, Autumn (ton seul ami) est-il mort". Non dude. J'ai du respect pour elle pour pas la poignarder avec mes questions.
Georges toise un instant Knight : T’es un big softie dans l’âme, c’est mortel. En vrai ces questions-là constituent limite un rite de passage, ici. On les a tous eues ces “Comment t’es arrivé ici ? Tes parents, toujours vivants ou pas ?” et puis, hé. (
Ouverture somatique de guillemet.) Fever est pas idiote et ne vit pas dans un trou. (
Fermeture somatique de guillemet.) Elle sait ce qu’elle fait et elle sait très exactement ce qui l’attend en t’accordant cette faveur.
Increpito : Sans parler du fait qu'elle n'a rien d'une chose fragile capable de s'émouvoir d'une référence à la mort. Puis des amis, elle en a un autre.
Knight regarde Georges : J'ai pas eu ce rite de passage. Les news le firent très bien pour moi. Mais cool. Ouais. Faut être sans âme faut croire pour ce sujet là. C'est noté.
Georges : Sans offense aucune, news ou pas, t’avais la dégaine de “fils de”. Et sinon, c’est pas ce que j’ai dit. Là, je te dis juste que les états d’âme, c’est plus irrespectueux qu’autre chose dans ce genre de.. Pepito. Je vais boire et tu vas rattraper mon coup. (
Porte la bouteille à ses lèvres.)
Increpito : Ce que Georges veut dire, c'est que Fever a la réputation d'une dame sans-cœur et les entretiens n'arrangent rien. Il paraît évident qu'elle est le genre de personnes à comparer la mort des parents des autres et en établir un classement. Et maintenant, passe-moi cette bouteille Gg.
Knight : Pas parce qu'elle réagit parfois comme un Bouledogue et qu'elle a des activités dignes de Vendredi Adams que j'ai le goût de la brusquer. Mates, c'est de mon téléphone que le texto va partir. Pas du vôtre. Et j'aime traîner avec Fever. Alors j'aimerais bien continuer à le faire après ces trois foutues questions.
Georges tend la bouteille à Increpito suite à une longue rasade : Ok. Plein de trucs à unpack. Tu “aimes traîner avec Fever”. Je suis le seul à entendre un autre truc là ou pas ? On doit s’attarder ou pas ? J’ai envie de m’attarder perso. Genre, vraiment.
Increpito profite du monologue de Georges pour boire avant de poser la bouteille : Pourquoi s'attarder ? Tout le monde sait qu'il veut se la taper. Je veux dire, il lui ramène des cafés. Qui fait ça ?
Georges : Non mais ! Y a une diff nette entre lui ramener des expressos et déclarer : “Oui j’aime traîner avec elle.” en fait. On parle de Knight, là.
Knight : Vous êtes deux cons. Ouais, j'aime trainer avec elle pas pour me la faire. On parle littérature. Puis — non. Pas de puis. Ça vous regarde pas. J'ai pas à expliquer ma vie sexuelle à vous deux cerveaux desséchés.
Increpito : C'est ce que je disais : il veut se la taper et il met notre enquête en péril pour sa petite personne. Typique du petit bourgeois que tu es.
Knight : Va chier Increpito. Toi aussi Georges. Sérieusement, vous pensez plus avec votre pénis qu'un gars de Liverpool. Vous savez, l'idée de respect c'est pas un truc de bourgeois.
Increpito : Je t'emmerde, je viens de Liverpool connard.
Georges : Wooo— du cal— hé, temps mort les mecs !
Knight, sarcastique : Oups, j'avais oublié.
Georges : Y a rien de mal à vouloir respecter quelqu’un mais se faire ce quelqu’un, de 1. Les deux peuvent coexister. Deuxièmement, je trouve qu’on a toujours pas fait le point sur la mort d’Autumn. Pas en numero uno, très bien. Mais tu veux lui poser quoi en numero uno du coup ? Une question bénigne pour servir de quoi, (
Prend un accent français.)
mise en bouche ?
Knight : Ouais. Un truc qui est intelligent. J'ai un première année qui m'a demandé de la questionner sur la couleur de ses sous-vêtements. Il se croyait drôle le kid.
Increpito : Puis-je savoir en quoi tu trouves ça pertinent ? De nous le rapporter, j'entends.
Knight : Je partage avec vous mon malheur. Je souffre de l'impertinence des gens. Tout ça, pour votre cause.
Georges : Ah, c’est vrai. Solamen miseris socios habuisse doloris. Généreux de ta part. Nous apprécions cette.. contribution des plus extraordinaires. Sans sarcasme aucun.
Increpito : Sans sarcasme, oui. Pour revenir sur la question numéro un, n'as-tu pas peur de la décevoir en cherchant à épargner ses sentiments ? Elle semble avoir peu de considération pour la faiblesse, et une définition particulièrement large de celle-ci, à en croire les entretiens.
Knight : Avoir de la compassion n'est pas une faiblesse. Je la prends pas non plus en pitié.
Georges lève les yeux au plafond, farfouille pour retrouver l’entretien n°9 et, d’une voix solennelle, cite : “Autumn n’est qu’un misérable qui n’a eu cesse d’espérer recevoir de l’affection de Backup.” Je suis certain qu’avoir de la compassion rentre dans ses critères de faiblesse. Il faut que tu lises les entretiens — au moins ceux de Fever.
Increpito : À moins que tu aies peur de découvrir que tu souhaites coucher avec un monstre. Mais peut-être que dans ce cas tu finiras par porter un réel intérêt à l'affaire.
Knight : Ok allez chier. Ouais je me répète. (
Sort son téléphone et commence à écrire.)
Georges boit une gorgée en silence, les yeux pétillants d’impatience.